L’histoire de Rome s’étend sur treize siècles. Du VIIIe siècle av. J.-C. au Ve siècle de notre ère, la ville a connu une multitude de visages. Suétone, dans la Vie d’Auguste (XVIII), prête au premier princeps ce mot « d’avoir trouvé une ville de briques et d’en avoir laissé une de marbre ». Or, songeons qu’il y a autant d’écart entre Auguste et Romulus Augustule, dernier empereur romain d’Occident destitué en 476, qu’entre notre époque et le règne de François Ier. De surcroît, la Ville éternelle se confond avec l’histoire de l’Empire romain, un territoire immense qui s’étend de l’Écosse au Sahara, de l’Atlantique à l’ouest de la Mésopotamie. Une multitude de peuples, de cultures, de cultes, réunis sous une autorité administrative nécessairement tentaculaire.
Au latiniste, cette histoire-là semble familière ; elle correspond à ses souvenirs de versions, César, Cicéron, Tite-Live, Tacite et Suétone pour les auteurs les plus tardifs… Nous connaissons (un peu) les récits mythiques de sa fondation, le passage de la République à l’Empire, l’histoire de la dynastie julio-claudienne et de quelques autres empereurs, tandis que la fin de cette histoire nous échappe, embrumée par des idées reçus de « décadence », de « chute ». Le choix des mots n’est pas neutre : « Rome, la fin d’un empire » préfère au concept moral ou idéologique de « chute », une « fin » factuellement incontestable. Sous la direction de Catherine Virlouvet, professeure émérite à l’Université d’Aix-Marseille, la professeure d’histoire romaine et spécialiste de l’antiquité tardive Claire Sotinel nous raconte cette histoire des derniers siècles de l’empire, « De Caracalla à Théodoric, 212-fin du Ve siècle ».
Pourquoi 212 ; pourquoi le milieu du règne de Caracalla ? Le dernier volume qui vient de paraître de cette trilogie romaine, « Rome, naissance d’un empire », bornait sa chronologie en -70, au moment où tous les hommes libres de la péninsule italienne sont enregistrés au nombre des citoyens romains. En 212 ap. J.-C., un mouvement similaire se produit à une échelle jusque-là inédite : l’empereur Caracalla étend la citoyenneté romaine à l’ensemble de l’Empire. Apogée de l’idéal de Rome comme cité universelle, le régime impérial connaît alors d’incessantes et fécondes mutations. La lecture de cet ouvrage ne peut que nous convaincre avec ses autrices que « la période couverte par les trois siècles étudiés ici est l’une des plus passionnantes qui soit ». D’autant plus passionnante que cette Antiquité tardive est peu ou mal connue d’un lectorat étendu de non spécialistes. Le concept « d’Antiquité tardive » s’affirme contre la formule de « Bas Empire », porteuse d’un « jugement de valeur décadentiste ». Car « ce livre ne cherche pas à proposer une explication de la fin de l’Empire romain en Occident, encore moins de l’Antiquité en général ». L’Empire n’a pas disparu « par une chute brutale mais à travers un lent et complexe processus politique s’inscrivant dans une société en cours de transformation, dans un contexte de changement des équilibres qui dépasse les limites du monde gréco-romain ».
Ce lieu commun de la décadence de Rome perdure dans une culture générale par définition imprécise. L’intérêt des ouvrages de cette collection réside autant dans l’immense richesse iconographique que dans l’actualisation des données et le dialogue entretenu avec les dernières recherches. Les derniers chapitres, consacrés à « l’Atelier de l’historien », invitent le lecteur à débroussailler certains concepts et à bousculer ses préjugés. Ils initient le lecteur à une réflexion historiographique sur la périodisation (Antiquité/Moyen Âge ; la division de l’Empire ; sa chute) ou encore sur la prétendue décadence, lieu commun moralisateur d’une vision historique. Cette période de trois siècles assiste en effet à la montée et à la conversion de l’État au Christianisme, mais aussi à une évolution du régime impérial vers d’autres modes de gouvernance, comme la tétrarchie, qui aboutiront à la création d’un empire bicéphale, avec une nouvelle capitale en Orient, Constantinople. Les conséquences de l’édit de Caracalla modifient non seulement le rapport des habitants à l’identité romaine, mais encore le rapport de l’empire avec ses frontières et les peuples qui l’entourent. La multiplication de ces évolutions est la preuve même de la vivacité de ce régime qui se donne perpétuellement de nouveaux moyens pour s’adapter aux différents changements. Cependant, la multiplication des mutations auxquelles il est confronté épuise ces réactions. De la sorte, l’Empire romain a survécu en Orient, tandis qu’il a été progressivement remplacé en Occident, sans que le monde s’effondre.
Avec « Rome, la fin d’un empire », la collection « Mondes anciens » (dirigée par Joël Cornette), montre la vivacité de la recherche et la richesse des échanges dans la discipline historique. La pédagogie de cette collection, destinée à accueillir de nombreux volumes sur l’histoire des civilisations anciennes, offre de la Rome antique une vision renouvelée, tant dans son approche que dans sa documentation.
Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm
Sotinel, Claire, (sous la direction de Catherine Virlouvet), « Rome, la fin d’un Empire : de Caracalla à Théodoric, 212-fin du Ve siècle », Belin, « Mondes anciens », 16/10/2019, 1 vol. (688 p.), 49€
Ouvrage dirigé par :
- Catherine Virlouvet, professeure émérite d’histoire ancienne à l’université d’Aix-Marseille et ancienne directrice de l’École française de Rome. Spécialiste du monde romain aux derniers siècles de la République et sous le Haut-Empire, elle s’intéresse particulièrement à l’histoire urbaine, économique et sociale de cette période.
- Claire Sotinel est professeur d’histoire romaine à l’Université Paris Est Créteil et dirige le Centre de Recherche en Histoire Européenne Comparée. Spécialiste de l’Antiquité tardive, elle s’intéresse particulièrement à l’impact des changements religieux sur les sociétés de la Méditerranée occidentale entre le IIIe et le VIe siècle.
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