Avec « Sabotage »», Arturo Pérez Reverte signe une passionnante incursion dans le Paris des années 1930, dernier tome d’une trilogie très documentée qui a toute sa place parmi les grands classiques du roman d’espionnage.
C’est toujours un plaisir paradoxal lorsqu’un écrivain choisit pour héros, un personnage si abject que l’on ne peut que le détester et à qui l’on s’attache malgré tout, avec une sorte de complicité coupable. Du Vicomte de Valmont à Bardamu, en passant par Georges Duroy ou Dorian Gray, la littérature est émaillée de ces puissantes figures d’anti-héros qui, brouillant les frontières entre le bien et le mal, évitent l’ornière moraliste d’un manichéisme malheureusement trop souvent répandu dans la fiction.
Avec « Sabotage », le prolifique écrivain espagnol, Arturo Pérez Reverte, nous invite à côtoyer l’un de ces salauds infréquentables : Lorenzo Falco, ancien trafiquant d’armes, aventurier sans foi ni loi, séducteur sans vergogne et espion à la solde des franquistes dans le contexte troublé de la Guerre d’Espagne. Le roman qui vient de paraître est l’épilogue d’une trilogie débutée en 2016 avec le titre éponyme « Falco », suivi en 2017 par « Eva », tous trois traduits au Seuil par Gabriel Laculli. « Sabotage » peut malgré tout se lire de façon indépendante des deux précédents volumes.
L’action débute au Pays basque en 1937. Falco reçoit de l’Amiral, son supérieur, l’ordre de se rendre à Paris pour une double mission particulièrement retorse. Il s’agit d’abord de tout mettre en œuvre pour empêcher l’installation de la grande toile de Picasso, « Guernica », que le gouvernement républicain en exil a commandée pour son pavillon à l’Exposition Universelle. Afin d’approcher le peintre et son atelier de la rue des Grands Augustins, Falco doit gagner la confiance d’un certain Léo Bayard, romancier pro-républicain et philo-communiste qu’il aura ensuite pour tâche de faire assassiner.
Il va sans dire que le roman, très riche en rebondissements, tient le lecteur en haleine jusqu’au dernier chapitre. Arturo Pérez Reverte avait déjà prouvé avec le cycle picaresque du « Capitaine Alatriste », qu’il était un conteur hors pair, ne négligeant jamais les décors et l’arrière-plan historique au profit de l’action. Sa peinture du Paris de l’entre-deux-guerres est très documentée aussi bien dans la description du milieu artistique et intellectuel germanopratin que des activités interlopes qui se trament en cachette, à l’instar des agissements de la Cagoule, organisation clandestine d’extrême-droite, antisémite et terroriste, ne reculant devant aucun moyen pour mettre à bas le gouvernement du Front Populaire.
L’auteur n’hésite pas à faire se croiser personnages réels et imaginaires. Certains protagonistes fictifs, à l’instar de Léo Bayard, la « cible » de Falco, laissent toutefois deviner le modèle qui leur a servi de source. Sous les traits de l’écrivain engagé, lauréat du Prix Goncourt, et commandant d’une escadrille aérienne en Espagne pour la cause de la République, on reconnaîtra bien évidemment André Malraux. C’est là aussi la force des romans à clefs. En travestissant subtilement la réalité, ils suscitent chez le lecteur le désir d’en apprendre plus sur les événements et les grands acteurs historiques qui les ont inspirés. Louis Aragon a popularisé l’expression de « mentir vrai » à propos de l’art romanesque. À ce titre, la dernière aventure de Lorenzo Falco apparaît comme un divertissement de haut vol. La fiction y marche main dans la main avec l’Histoire et l’érudition de l’auteur, loin d’alourdir le récit, nous permet au contraire de mieux saisir les rouages d’une période souvent méconnue, ténébreux prélude au conflit le plus meurtrier du XXe siècle.
Jean-Philippe GUIRADO
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Pérez-Reverte, Arturo, « Une aventure de Lorenzo Falco Sabotage », Seuil, 01/10/2020, 1 vol. (377 p.), 21,00€.
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