Y aurait-il encore quelque chose d’inexploré ou qui reste à écrire sur Saint Dominique interroge, à bon escient, l’actuel Maître Général des Prêcheurs dans la préface de l’ouvrage ?
Remarque légitime au regard du nombre d’écrits consacrés à la vie du fondateur de l’Ordre dominicain, que le même préfacier prend cependant soin de nuancer tant la force, sinon la grâce diffusée par la vie de ce saint transcende les siècles d’une prégnante actualité. Comme si sa mission d’ordre intemporelle pouvait tenir lieu, auprès de chaque génération, d’une nouvelle évangélisation.
S’il s’inscrit donc dans un héritage « toujours ancien mais toujours nouveau », l’ouvrage de ces deux Fils de Saint Dominique que sont les frères Gianni Festa et Augustin Laffay, combine ainsi les vertus d’une historiographie fiable et d’une hagiographie inspirante.
En alliant les ultimes connaissances en matière de sources médiévales comme de documents récemment traduits en français, ces auteurs ont scindé leur étude en trois grands volets.
Une première partie, « Sur les pas de Saint Dominique », qui tout autant qu’un vécu chronologique, permet de découvrir le contexte religieux espagnol dont s’est nourri le natif de Caleruega et la ferveur mystique qui s’est manifestée en lui dès la prime enfance.
« Il avait une soif si incessante et si avide de s’abreuver aux ruisseaux des Saintes Écritures qu’il passait ses nuits sans presque dormir, et une fois la vérité introduite dans ses oreilles, il la retenait d’une mémoire tenace… » commenta Jourdain de Saxe, précisant que le jeune homme apprit vite par cœur l’Évangile de Mathieu et les diverses épîtres de Paul !
Un début d’apostolat ordonné autour du message évangélique, qui va progressivement prouver son bien-fondé lorsque, au hasard d’un voyage en Europe du Nord (pour négocier le mariage du fils d’Alphonse VIII avec une jeune noble suédoise), le futur saint va faire plusieurs fois, étape en Languedoc.
Dans ce Midi en proie aux dissidences des « Bonhommes », la mission de Dominique prônant un modèle religieux pauvre, vécu hors des communautés ecclésiales traditionnelles, trouvera sa pleine consistance. Privilégiant le dialogue au conflit, il rétablira en quelques années l’unité d’un Midi désorienté, en enseignant les âmes aux vertus évangéliques.
Reconnu par son amabilité et son ardent souci de vérité qui lui fit remporter les disputes (débats) contre les tenants du dualisme, il fonda son Ordre à Toulouse en 1216, établi sur la prédication des frères et portée par la prière des sœurs moniales qu’il avait installées à Prouilhe, au pied du bourg de Fanjeaux.
Si cette première patrie de la vie du Saint séduit autant par sa chronologie que par sa concision, la seconde intitulée, « La voix Dominicaine » nous apparaît plus attrayante.
Inspirée du charisme de Dominique dans son souci d’élever les âmes avec un constant désir de pauvreté, la mission des prêcheurs se développera d’abord par l’étude, est-il précisé.
« Les livres saints fournissent au Frère Prêcheur les armes de défense et d’attaque. Tout couvent est une forteresse en état de siège. Les livres sont pour les soldats de cette place, toujours attaqués par l’esprit du mal, l’eau dont ils s’abreuvent, la nourriture par laquelle ils réparent les forces perdues« , commentera Humbert de Romans.
Un besoin d’annoncer l’Évangile à temps et contretemps, qui ne pourra cependant s’effectuer qu’au cœur de l’Église, « In medio Ecclesiae » comme l’Ordre s’y conforma dès sa fondation par le pape Honorius III en 1217 et qui via le Concile de Trente, trois siècles plus tard, s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui. D’où l’importance qu’a constitué l’héritage dominicain, objet du troisième grand chapitre de l’ouvrage.
Un legs qui, associé à la mission des frères et des moniales, fut le premier à octroyer une place prépondérante aux laïcs (Catherine de Sienne, Rose de Lima), à initier la prière mariale du Rosaire, ainsi qu’à instaurer une « démocratie » religieuse qui a servi de laboratoire à l’élaboration de la gouvernementalité moderne, dont s’est d’ailleurs inspirée la Constitution américaine !
Tout héritage ayant une part d’ombre, les auteurs n’ont pas omis le volet de l’Inquisition et son tribunal d’exception visant à traquer les hérétiques, même si le nom de son fondateur lui fut un temps injustement accolé, puisque Saint Dominique est mort en 1221 à Bologne, bien avant les premiers excès de cette institution.
Un tragique épisode de l’histoire dominicaine qui ne doit pas occulter, toutefois, leur large apport intellectuel. Car, en s’efforçant d’élaborer la théologie comme une science à l’image de Thomas d’Aquin jusqu’à la création de l’École Biblique de Jérusalem, une longue lignée de Frères Prêcheurs a effectué une véritable révolution dans le champ du savoir, mieux que ne l’avait sans doute rêvé leur père fondateur.
C’est là, un des grands attraits du livre susceptible d’intéresser les néophytes comme de séduire les plus versés dans les fondements de l’Ordre. Une quête, fouillée et rigoureuse, ponctuée par une série de portraits et gestes de Saint Dominique, dont le sobre libellé n’a d’égal que la richesse iconographique.
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Laffay, Augustin & Festa, Gianni, Préface du frère Gerard Timoner III, maître de l’ordre des Prêcheurs, « Saint Dominique et sa mission », Le Cerf, 12/08/2021, 1 vol. 20€.
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