Hugues Jallon, Le temps des salauds, Éditions Divergences, 05/09/2025, 108 pages, 12€
Avec Le temps des salauds, Hugues Jallon prolonge son exploration des zones grises où la littérature, la politique et l’histoire s’entrelacent pour révéler les mécanismes de notre présent. Poursuivant la veine de ses précédents ouvrages, notamment Le Capital, c’est ta vie (2023) et Le Cours secret du monde (2025), il organise une cartographie saisissante de la fascisation en cours, une lente et méthodique installation du monstrueux au cœur de nos démocraties libérales. Son ouvrage, d’une lucidité dévastatrice, ausculte la pathologie qui nous consume : le glissement du pouvoir des mains des “fous”, ces figures extrémistes longtemps marginalisées, vers celles des “salauds”, ces artisans du compromis qui rendent le fascisme non seulement possible, mais désirable et, finalement, réel. Hugues Jallon enracine sa réflexion dans cette terrible généalogie, anonyme et prophétique, qui ouvre son livre : “Le fascisme, ça commence avec les fous, ça se réalise grâce aux salauds et ça continue à cause des cons”
Le grand déballage des compromissions
Hugues Jallon nomme. Guillaume Kasbarian félicitant Elon Musk pour sa croisade contre les fonctionnaires. Alexandre Allegret-Pilot diffusant des cartes racistes sur les QI africains. Arnaud Montebourg s’associant avec Pierre-Édouard Stérin, milliardaire catholique intégriste, pour racheter des PME nucléaires. Christelle Morançais jouant les Thatcher de province en célébrant le “génie” de Musk contre la “frilosité” européenne. Aurore Bergé acceptant de restreindre les droits des étrangers pour “faire évoluer le texte”.
L’essai fonctionne comme un annuaire de la compromission, où chaque portrait compose une pièce du puzzle de la fascisation en cours. L’auteur documente méthodiquement comment les élites françaises – ministres, députés, intellectuels, patrons – œuvrent concrètement à normaliser l’extrême droite tout en proclamant leur attachement aux “valeurs républicaines”.
Les intellectuels complices
Alain Finkielkraut déclarant que “le RN n’est pas un parti fasciste, ni même factieux !” Marcel Gauchet expliquant doctement que Marine Le Pen joue “le jeu démocratique” et qu’elle est “une femme moderne”. Michel Onfray certifiant que la présidente du RN n’est “ni raciste, ni xénophobe, ni d’extrême droite”. Raphaël Enthoven participant à la Convention de la droite pour “ne pas refuser le débat” avant de déclarer qu’il voterait Le Pen contre Mélenchon.
Hugues Jallon dissèque la mécanique intellectuelle qui transforme les philosophes en blanchisseurs idéologiques. Ces “nouveaux réactionnaires” identifiés il y a vingt ans par Daniel Lindenberg accomplissent leur œuvre : répéter que “le fascisme est mort en 1945″ pour mieux accompagner sa résurrection, attaquer obsessionnellement l’antifascisme pour légitimer l’extrême droite, recycler les thèses identitaires sous le vernis de la respectabilité académique.
Les dîners de la honte
Rue d’Aumale, chez Thierry Solère, Marine Le Pen dîne avec Sébastien Lecornu, alors ministre des Armées, puis avec Édouard Philippe, ancien Premier ministre. Les voitures se succèdent dans cette antichambre officieuse du pouvoir où se négocient les ralliements futurs. Sophie de Menthon organise des rencontres entre la patronne du RN et les chefs d’entreprise. Geoffroy Roux de Bézieux, patron du MEDEF, qualifie l’extrême droite de “risque nécessaire” pour le business.
L’essai révèle comment le monde des affaires prépare activement l’alternance. Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin financent ouvertement la conquête culturelle de l’extrême droite, rachètent l’École supérieure de journalisme de Paris avec Bernard Arnault et d’autres milliardaires, placent leurs hommes dans les médias. Le capitalisme français organise méthodiquement les conditions de la victoire fasciste.
La destruction néolibérale comme terreau
Emmanuel Macron citant Charles Maurras, accordant un entretien à Valeurs actuelles. Michel Barnier reconduisant Bruno Retailleau à l’Intérieur, ce ministre qui reprend l’expression “Français de papier” de la presse antisémite d’avant-guerre et reçoit les militantes du groupe identitaire Nemesis. Gérald Darmanin nommé à la Justice, réalisant la “fusion / acquisition” de Beauvau et Vendôme. Manuel Valls déclarant que “l’immigration nécrose Mayotte”.
Hugues Jallon démontre comment le “bloc central” prépare activement le terrain à l’extrême droite en reprenant ses obsessions, son vocabulaire, ses priorités. Le Président qui parle de “réarmement” et de “régénération”, les ministres qui réclament un “sursaut d’autorité” et dénoncent le “sentiment de submersion migratoire” – tous participent à cette entreprise de légitimation par mimétisme.
L'accélération vers l'abîme
L’essai analyse magistralement cette “accélération réactionnaire” incarnée par Trump et Milei, où libertariens délirants et conservateurs religieux convergent dans un projet de liquidation démocratique. Le projet Stargate à 500 milliards pour l’IA, immédiatement imité par Macron avec ses 100 milliards, symbolise cette fuite en avant technologique qui masque la régression politique. Les images d’explosions nucléaires projetées lors des meetings de Milei, le salut fasciste d’Elon Musk minimisé par les intellectuels de plateau ; autant de signes d’une pulsion thanatique assumée.
L’essai analyse magistralement cette “accélération réactionnaire” incarnée par Trump et Milei, où libertariens délirants et conservateurs religieux convergent dans un projet de liquidation démocratique. Le projet Stargate à 500 milliards pour l’IA, immédiatement imité par Macron avec ses 100 milliards, symbolise cette fuite en avant technologique qui masque la régression politique. Les images d’explosions nucléaires projetées lors des meetings de Milei, le salut fasciste d’Elon Musk minimisé par les intellectuels de plateau ; autant de signes d’une pulsion thanatique assumée.
Il est venu le temps des cons dans l’isoloir
La force politique de l’ouvrage réside dans ce refus de l’abstraction. Hugues Jallon ne parle pas de “processus” ou de “dynamiques”, mais désigne les acteurs concrets de la trahison démocratique. Cette nomination constitue un acte de résistance dans un contexte où la confusion sémantique sert de paravent aux lâchetés.
L’épilogue anticipe avec une lucidité glaçante les postures futures des salauds :
Le soir de la victoire du candidat d'extrême droite, le salaud promènera son air effondré sur les plateaux et proclamera dans les colonnes son opposition franche et déterminée à ce nouveau pouvoir qui n'aurait pas gagné sans son aide.
Le temps des salauds frappe comme un uppercut. Hugues Jallon y déploie une cartographie impitoyable des responsabilités dans la catastrophe en cours. Son essai restera comme le procès-verbal d’une époque où les élites françaises ont sciemment organisé les conditions de la victoire fasciste. Un livre nécessaire qui désigne les vrais responsables du naufrage annoncé. Comme l’écrit l’essayiste le fascisme devient réel grâce aux salauds qui le rendent fréquentable, aux fous qui le rendent désirable, et aux cons qui finiront par le rendre légitime – dans le secret de l’isoloir – convaincus de sauver la France…

Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.