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Un récit plein de finesse et de grâce qui aborde le délicat sujet de la construction de soi dans l’ombre des fantômes de son histoire familiale.
En 2019, l’autrice remportait le Prix de la Closerie des Lilas avec “Les Enténébrés” (Le Seuil). Dans cette autofiction labyrinthique Sarah Chiche évoquait déjà certains épisodes de l’histoire de sa famille, comme la déportation du grand-père et la folie de sa grand-mère maternelle. Un an après, “Saturne” peut tout à fait se lire comme le deuxième volet d’un diptyque, qui s’attarderait cette fois sur la branche paternelle de l’arbre généalogique de l’autrice.
C’est une rencontre fortuite à Genève qui va servir de point de départ à cette nouvelle quête mémorielle. Une femme l’aborde en lui disant qu’elle a bien connu sa famille, autrefois en Algérie. Cette simple phrase bouleverse la psychologue venue ici pour une conférence et qui n’aura alors de cesse de faire ressusciter ce passé dont il ne reste presque plus aucun témoin.
Dans cette quête des origines, Sarah Chiche joue habilement entre les voix et les points de vue. Pour restituer le contexte de l’Algérie française, de la guerre puis de l’exil, elle se met tour à tour à la place des différents protagonistes. Ses grands-parents Louise et Joseph servent de point d’ancrage à cette chronique familiale. Propriétaires d’une clinique à Alger, ils rentrent en France au moment de l’indépendance, pour construire de nouveaux établissements prestigieux où les patients doivent se sentir “comme dans un hôtel de luxe”. L’autrice évoque l’immense château dont ils ont fait l’acquisition en Normandie, dans lequel l’accumulation ostentatoire des richesses ne parvient pas à compenser la solitude profonde des occupants. Pour passer le temps, on y mange sans arrêt, dans une atmosphère décadente qui n’est pas sans rappeler celle de “La Grande Bouffe” de Marco Ferreri.
Se mettant dans la peau de son père, l’autrice revient aussi sur la rivalité qui l’oppose dès l’enfance à Armand, son aîné, héritier désigné de l’empire médical, et évoque sa passion précoce pour l’astronomie et les livres qu’il se met à aimer “comme on aime les êtres”. Harry détonne par son caractère. Il rejette la carrière toute tracée de médecin et devenu adulte, ajoute à son amour de la littérature celui des femmes. Sur fond de libération sexuelle post-mai 68, accompagné par les accords planants du “Space Oddity” de David Bowie, on assiste au coup de foudre entre Harry et Eve, Une passion immédiate, solaire qui vient heurter les convictions d’une famille juive, corsetée dans ses conventions bourgeoises. Un amour qui donnera naissance à l’autrice : “Dans les contes de fées, c’est là que l’histoire s’achève. Dans l’espace de la tragédie ordinaire, c’est ici que tout commence”. En 1977, Harry est emporté par une leucémie à l’âge de 34 ans, laissant une petite-fille de 15 mois. C’est le récit poignant de son agonie qui sert de prologue au roman. Une mort tragique qui achèvera d’ébranler une famille rongée depuis longtemps déjà par le venin de la désunion. Pour cet ouvrage, Sarah Chiche est la lauréate du Prix Roman News 2020.

Jean-Philippe Guirado
contact@marenostrum.pm

Chiche, Sarah, « Saturne », Seuil, « Cadre rouge », 20/08/2020, Disponible, 1 vol. (204 p.), 18,00€.

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