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David Da Silva, Scarface de Brian de Palma, Le destin tragique de Tony Montana dans un monde néolibéral, Lettmotif, 31/08/2025, 238 p, 26,90 euros.

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Scarface est une icône des ghettos du monde entier. Mal parti pourtant à sa sortie car vu comme un film de gangsters, il est classé X pour violence (physique et verbale : on ne compte pas moins de 226 “fuck” dans les dialogues), R après négociations avec la MPPA et coupes, mais interdit aux – 18 ans en Argentine, Australie, Brésil, Canada, Colombie, République tchèque, Égypte, Finlande, Allemagne, Hongrie, Indonésie, Irlande, Israël, Malaisie, Maldives, Nouvelle-Zélande, Niger, Norvège, Pérou, Philippines, Pologne, Portugal, Russie, Arabie saoudite, Singapour, Afrique du Sud, Suisse, Taiwan, Royaume-Uni, Émirats arabes unis, RFA. La France, pays de l’X pour violence, ne l’interdit qu’aux – 13 ans ! Comment ce film maudit de 1983 – l’équipe menacée en tournant en Floride se déplaça à Miami N.Y. – est-il devenu culte ? Pour Louis A. Stroller, les milieux défavorisés se reconnaissent dans Tony Montana, un étranger pauvre dans un pays riche qui devient quelqu’un, et le charisme et la folie d’Al Pacino donnent vie à Tony Montana magnifié par Brian de Palma.

Al Capone et Don Vito Corleone, des parrains prestigieux

Le Film de gangsters est inhérent aux E.U. En 1919, le Volstead Act engendre la prohibition et les gangsters s’enrichissent en vendant l’alcool interdit. La dépression et le chômage entament le moral d’une Nation désespérée où le gangster est un exutoire des spectateurs sous choc financier. Le film noir ou l’Amérique sombre fait rêver avec Al Capone en Cadillac blindée et voit triompher Little Cesar de Mervyn Leroy (1931) avec Edward G. Robinson en Enrico Bandello et Scarface d’Howard Hawks (1932) avec Paul Muni en Tony Camonte. Le gangster balafré du massacre de la Saint Valentin est suggéré dans Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder, avec George Raft en Marquis. Il faut citer L’ennemi public de William A. Wellman avec James Cagney en Tom Powers. En 1972, Le parrain de Francis Ford Coppola avec Marlon Brando en Don Vito Corleone pulvérise les records, remporte 3 Oscars (meilleur film, meilleur second rôle pour Brando, meilleur scénario pour Mario Puzo et F.F.C.). Le film est classé second meilleur film américain de tous les temps (après Citizen Kane (1941) d’Orson Welles) par l’American Film Institute. Cette saga mafieuse familiale est une fresque historique et une tragédie italiano-américaine qui reflète une société aux politiques et policiers corrompus.

Tony Montana ou les versants dangereux d'un monde néolibéral contemporain

En 1978, Al Pacino, dont la carrière est à l’arrêt, visionne dans un cinéma de Sunset Boulevard à L.A. le Scarface de 1932, film difficile à trouver car censuré pour sa violence. Ébloui par la performance de Paul Muni en Tony Camonte, il décide de faire un remake. Si Brian de Palma est le réalisateur, Oliver Stone est le scénariste – connu pour Midnight express (1978) et Conan le Barbare (1982) – qui plonge Scarface dans une relecture contemporaine. Al Pacino est Tony Montana, un exilé cubain, qui réussit par la violence – scènes de la tronçonneuse, de la discothèque, de la tentative d’assassinat à la bombe – en vendant de la cocaïne dans le Miami des années 1980. La drogue de luxe à portée de tous symbolise la mondialisation et le néo-capital reaganien et étasunien, mais aussi le bonheur éphémère. Tony a l’argent, le pouvoir, les femmes mais il enfreint une règle sacro-sainte des truands : il consomme sa marchandise, accélérant ainsi son destin tragique. Tout film culte à sa musique emblématique et il ne faut pas oublier la BO de Giorgio Moroder dans l’esprit des années 1980, dont le Push it to the limit de Paul Engemann encensant Tony Montana. Le métis rebelle, meurtri physiquement et mentalement, est un petit caïd devenu grand qui fascine les exclus, immigrés et pauvres de tous âges, décennies et pays, s’identifiant à leur héros, somme toute shakespearien, érigé en symbole de la culture gangsta. Scarface, d’abord boudé par Hollywood et les critiques le trouvant vulgaire – et les costumes d’un mauvais goût absolu – est désormais adulé. Évoqué dans de nombreux films et séries, il a gagné le monde du rap et du hip-hop, des comics et des jeux vidéo, séduisant des publics nouveaux. Quant à Brian de Palma, il n’est plus vu comme un sous-Hitchcock aux films d’horreur et de suspense, Scarface étant un de ses meilleurs films.

Le long titre du livre de David da Silva, Scarface de Brian de Palma, Le destin tragique de Tony Montana dans un monde néolibéral, ne peut rendre la richesse du contenu dense, documenté et fouillé, et toujours bien illustré, comme de coutume chez Lettmotif. L’analyse est complétée par des Entretiens variés de producteurs, réalisateurs-assistants, acteurs, une Bibliographie sélective et un Index des films et des personnes. Scarface rimait avec Tony Montana, il rime désormais avec David Da Silva.

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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