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Sexe, violence, politique : décryptage des genres interdits à l’écran

Albert Montagne, Le mauvais genre au cinéma, Éditions de L’Harmattan, 17/07/2025, 150 pages, 17€

Qu’est-ce qu’un mauvais genre ? Marcel Proust a utilisé cette expression  pour désigner l’homosexualité, mais la signification du terme s’avère nettement plus vaste du fait la dimension polysémique du mot genre en français, qui ne coïncide pas exactement avec le gender des Anglo-Saxons. Pour Gérard Mordillat, écrivant dans le Monde diplomatique, « le mauvais genre » est par excellence le genre populaire, le genre vulgaire au sens étymologique du terme, le genre où se reconnaissent les classes dangereuses contemporaines : les jeunes, les immigrés, les chômeurs, les exclus.

De « L’Empire des sens » à Larry Flynt

Albert Montagne, dans son livre Le mauvais genre au cinéma, joue sur la polysémie du terme, en se centrant d’abord sur la notion de genre cinématographique, pour interroger ce qui, à l’écran, peut être désigné comme un mauvais genre. Son livre commence par aborder le sujet sous l’angle théorique, en montrant comment la théorie cinématographique, des origines à nos jours, a défini la notion de genre. Un détour par la littérature lui permet d’expliciter ce que l’on entend par « mauvais genre », en se fondant sur une œuvre emblématique comme L’Empire des Sens. En tournant ce film, Nagisa Oshima a enfreint plusieurs tabous du Japon, où l’exhibition des parties génitales et des actes sexuels à l’écran étaient strictement prohibés. Il s’est heurté à la difficulté de trouver des acteurs et a tourné son film dans une quasi-clandestinité. Les scènes de sexe ont exigé une prise unique et une équipe réduite. Le lien entre sexe et nourriture et la dimension politique du film, critique de la société de consommation, se sont heurtés à la censure, au Japon comme en France.

L’auteur analyse ensuite le film Larry Flynt, autre exemple de « mauvais genre ». Ce biopic met l’accent sur le lien entre la politique et le « roi du porno ». Larry Flynt, qui pourrait être l’héritier de Randolph Hearst inspirant Citizen Kane à Orson Welles, présente des traits de caractère contradictoires, héritage d’une jeunesse marquée par la pauvreté et l’illégalité. Editeur d’un magazine érotique devenu un succès commercial, il se heurte à la colère des puritains. Il devient évangéliste, puis, après s’être fait tirer dessus, il revient à ses premières amours, la drogue et la pornographie.

Le film de Milos Forman, maître du biopic, au-delà de son caractère de biographie passionnelle, constitue un film politique et contestataire dans la lignée de Vol au-dessus d’un nid de coucous. Il brosse le portrait d’un homme qui utilise la loi à son profit, tout en s’érigeant en défenseur des droits de l’homme, et n’omet aucun des procès de Larry Flynt, présenté comme un champion de la liberté d’expression. Après le retrait de l’affiche originale, une seconde, tout aussi provocatrice, a vu le jour. Le film concrétise le rêve américain et redéfinit l’engagement et la liberté d’expression.

La violence , un des traits du « mauvais genre »

La violence constitue, comme le montre Albert Montagne, une des constantes du « mauvais genre ». L’auteur du livre examine sa place et son rôle dans le cinéma français. D’après lui, elle constitue même un genre à part qui peut se décliner entre de multiples sous-genres, au caractère horrifique, allant crescendo au fil des décennies. Selon les pays, le mauvais genre adopte des noms et des nuances différentes : gore, giallo, pinku eriga, rape and revenge, snuff movies, torture porn, etc. Il montre son évolution, en particulier dans la période qui se situe de 1976 à 1990, puis celle, de 20001 à 2024, qui assiste à l’éclosion à l’écran de violences extrêmes. Avec l’X violent, la violence apparaît d’abord politique, comme on peut le voir aussi dans les films d’Yves Boisset.

Yves Boisset : un cinéma engagé

Albert Montagne montre comment les films d’Yves Boisset ont été victimes de la censure en France et en Italie. Le jardin du diable, puis Coplan ont été interdits dans ces deux pays. Cran d’arrêt, ou encore L’Attentat, basé sur l’affaire Ben Barka, nt peiné à obtenir un financement. La préfecture de police a interdit le tournage de ce dernier film. Les nombreux interdits auxquels s’est heurté le réalisateur ont retardé le travail et augmenté les coûts de production. À sa diffusion, le film a eu des problèmes dans divers pays étrangers. Dupont Lajoie, Le Juge Fayard dit le Sheriff se sont trouvés également confrontés à la censure. Pour ses téléfilms, la censure économique a pris le relais de la censure politique. Yves Boisset a dû faire face à l’annulation de nombreux projets et pour 50 films réalisés, on en compte 200 refusés, comme Barracuda, ou encore Les Diamants de la terreur, sur l’affaire des diamants de Giscard.
Bien qu’internationalement récompensé, comme l’écrit Albert Montagne, « l’homme à la caméra enquêtrice et dénonciatrice a connu toutes les censures, les menaces verbales et les intimidations physiques, mais n’a jamais baissé les bras. »

Fu Manchu ou le mythe du péril jaune

Une autre série de films qui relève du « mauvais genre » est consacrée au terrible docteur Fu Manchu, incarnation de l’Asiatique fourbe et cruel. Il renvoie au mythe du « péril jaune », né au début du siècle dernier, quand l’Asie a été perçue comme une puissance mondiale menaçant les Occidentaux. Le motif a nourri le monde de la BD, avec Fu Manchu, mais aussi Guy l’Eclair, Tintin et Blake et Mortimer, cette dernière série de BD s’inspirant de l’Ombre Jaune, un Chinois immortel né de l’imagination du romancier Henri Vernes. Il se retrouve dans les films consacrés à OSS 117, et doit aussi sa popularité au succès du livre d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera, confirmant cette angoisse d’un danger venu d’Extrême-Orient. Si le cinéma français s’empare du sujet avec humour, dans les films américains, l’angoisse remplace le rire. Fu Manchu, emblème du méchant Oriental, s’efforce de dominer l’Occident. Le succès de ces films a contribué à nourrir un racisme anti-asiatique. Figure du scientifique et de l’intellectuel issu de la classe dirigeante, Fu Manchu incarne le mal que représente une science dévoyée, privée de toute éthique. Fu Manchu détourne le savoir pour infliger les pires souffrances à l’être humain, par l’usage de la torture physique et mentale.

De la mort aux origines de la vie

Autre motif décliné par l’auteur, la mort à l’l’écran et son caractère polymorphe. Dans Le Septième Sceau, Jos, qui a la capacité de la voir, est épargné, mais ceux qui l’entendent ne peuvent y échapper. Albert Montagne explore le sujet à travers un certain nombre de films, en particulier ceux de Murnau, Fritz Lang, Cocteau et Bob Fosse, mais aussi Georges Lucas ou Luc Besson.

Il s’intéresse aussi à la préhistoire à l’écran, une période moins traitée que l’Antiquité, et montre comment sa représentation l’érige en « mauvais genre », en particulier avec des œuvres des origines du cinéma. Il montre comment une séquence de Griffith a pu inspirer l’ouverture de 2001, Odyssée de l’espace. Aux côtés des films en prise de vues réelles, le cinéma d’animation et les dessins animés ont également joué un rôle dans ce type de représentation.

Docteur en études cinématographiques, juriste spécialiste de la censure, Albert Montagne explore la notion de mauvais genre sans parti pris, à travers une large gamme de films d’origines diverses, en mêlant films d’auteur et films de genre de manière originale, que le choix de la photo de couverture illustre de manière particulièrement réussie. Avec humour, sans oublier les jeux de mots, l’auteur, dont on retrouve ici les principaux axes de recherche, s’attache à des formes de cinéma qui ont pu séduire parfois les grands réalisateurs, mais s’attirer aussi les foudres de la censure.

Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne

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