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Stéphane Babey, Un itinéraire juif : récit d’une conversion, Éditions Erick Bonnier, 24/11/2022, 21€.

Dieu, un itinéraire et Un itinéraire juif. Si les deux thématiques sont suffisamment distinctes pour ne pas être confondues, le vocable commun d’itinéraire incitait toutefois à la curiosité pour y faire référence. Car, si l’ouvrage de Régis Debray s’inscrit globalement dans une démarche anthropologique, il n’en aborde pas moins – avec pertinence – l’importance du Dieu unique dans le monde hébraïque et sa pérennisation jusqu’à aujourd’hui.
J’ai voulu relever le défi d’aller au cœur”, expliquait-il. “Il faut être réaliste : la croyance juive fait partie du corps social, elle est le coagulant qui fait tenir ensemble les agrégats humains épars.”
Un constat que Stéphane Babey corrobore pleinement dans le dernier chapitre de son livre, “Qu’est-ce qu’être juif ?”, lorsqu’il définit le judaïsme certes par son aspect religieux, “mais aussi comme un mode de pensée, une attitude intellectuelle, tout autant qu’un volet d’organisation sociale qui permet au peuple juif de maintenir sa cohésion, son unité ainsi que son essence.”
Une concordance sur l’éthique du judaïsme qui demeure, empressons-nous de la préciser, le seul trait d’union entre les deux ouvrages, tant il est vrai que cet Itinéraire juif est d’ordre essentiellement personnel, comme le stipule le sous-titre “Récit d’une conversion”. Le terme conversion, étant à relativiser, ou du moins à bien expliciter comme s’y emploie l’auteur dans son introduction, pour démontrer combien “le judaïsme n’a pas vocation à faire du prosélytisme.”
S’il admet qu’une conversion réclamant un long temps d’études et de réflexion soit envisageable, il considère que le mot d’alliance est plus adéquat. Une alliance comprise “comme une reconnaissance davantage qu’une adhésion” souligne-t-il, dont il va clairement développer les raisons.

Devenir juif est ainsi à ses yeux bien plus qu’un changement. C’est faire sien le chemin un jour emprunté par Abraham lorsqu’il répondit à l’injonction de l’Éternel. C’est avoir la Torah au cœur autant que dans l’esprit chaque jour de la semaine. C’est aussi acquérir la connaissance permettant à chaque juif de transmettre le message sans esprit de propagande. C’est enfin se sentir membre au plus profond de soi de ce pauvre et petit peuple élu par l’Éternel pour accomplir son dessein.

Témoigner de la sorte d’un tel souci d’appartenance, n’a rien donc d’une décision à la légère. Comme elle n’est pas davantage “une forme de psychanalyse ou d’exhibition de l’intime”, spécifie bien Stéphane Babey.
Mais pour autant qu’il se veuille “un simple témoignage sur un itinéraire menant à la singularité du judaïsme”, la raison d’être de l’ouvrage n’en est pas moins raccordée à un événement personnel. Celui du mystère occasionné par l’absence d’un père qui par-delà les temps de l’incompréhension et du désespoir, a eu l’insigne vertu de ramener le fils à la source.
Comme si la douloureuse confrontation avec le mystère était indispensable pour en découvrir le sens.
Ce père qui s’appelait Aleph, dont une photo jaunie “le montrait assis au milieu d’une cour avec une cigarette aux lèvres, les cheveux très noirs, le regard portant loin”, l’auteur va en faire un portrait touchant, et préciser le rôle clé occasionné dans son propre cheminement. “En étant mon aleph, mon père m’invita, ainsi, à sa – drôle – de manière à tourner mon regard vers le Beth et à faire mienne l’histoire du Commencement”, résume-t-il, joliment.
Le “Beth” comme “Béréchit”, premier mot de la Torah qui va inciter l’apprenti-converti à se dévoiler progressivement. D’abord pour exprimer sa compréhension de l’exil, qu’il n’a certes jamais eu à expérimenter concrètement, tant sa sensation de ne pas se sentir au bon endroit, sinon étranger aux choses qui l’entouraient était une constante depuis son enfance. “Être juif, ce n’est pas seulement avoir la mémoire de l’exil, c’est en être imprégné dans toutes ses dimensions”, écrit-il.
Puis, pour dire la place prééminente tenue par le Livre, il commentera sa plongée infinie au cœur de l’âme juive et le labyrinthe des connaissances qu’il induit, sur le plan de la littérature comme de l’art pictural à l’image de l’œuvre d’Alain Kleinman.
Autant de concepts dogmatiques si l’on peut dire, plus délicats à matérialiser, dès lors que l’on transite dans un judaïsme en actes. C’est-à-dire qu’on l’insère dans la vie quotidienne et au sein d’un foyer “goy” de surcroît.
Porter ainsi régulièrement la kippa, observer strictement le shabbat, introduire la nourriture casher, comme mettre en pratique les rituels et progresser enfin dans l’apprentissage de l’hébreu, sont autant d’accomplissements exigeants et néanmoins nécessaires, constate Stéphane Babey quand “on veut s’imprégner du temps juif, à savoir faire corps avec ce qui a constitué son histoire.”
Soucieux de définir plus avant les particularismes de l’identité juive, l’auteur les développera ensuite au gré de divers chapitres. Qu’il s’agisse de l’importance de Jérusalem qu’il ne connaît pas “bien qu’elle demeure au quotidien dans son cœur comme dans ses pensées” ; de la métaphysique du Nom qui le décidera à opter personnellement pour celui d’Ezra – au lieu de Nathan que lui avait suggéré sa fille –, ou encore à la conversion des maîtres sous la houlette du rabbin Hillel, ses réflexions aussi étayées qu’approfondies attestent d’un questionnement authentique sur les méandres d’un long cheminement spirituel.
On sera en revanche, un peu plus circonspect sur sa façon de traiter “le cas Jésus”, comme il l’écrit. Quand bien même par son éducation religieuse se sent-il interpellé par sa Personne, on a quelque difficulté à concevoir son besoin de l’extraire du cadre juif : “Jésus cesse d’être juif au moment où il expire sur la croix”, souligne-t-il, comme d’énoncer audacieusement “qu’aucune incarnation humaine n’est nécessaire à l’Éternel pour faire entendre Sa parole ou sentir Son souffle.”
Outre le résultat d’acquis prolifiques du dialogue judéo-chrétien à cet égard, peut-être eût-il fallu qu’il se réfère aux actes postconciliaires de Nostra Aetate, voire à l’encyclique du pape Pie XI adoubée par tous les rabbinats dans lequel le souverain pontife déclarait  “l’ensemble des chrétiens spirituellement sémites.”
Une analyse par trop superficielle donc, que l’auteur a cependant le mérite de tempérer dans la conclusion de ce chapitre lorsqu’il remarque “que Celui qui est mort sur la croix fait partie de ses racines et contribue à enrichir sa spiritualité juive.”

Récit honnête et scrupuleux d’une conversion tel qu’en attestent les ultimes chapitres sur les raisons d’être juif et la conversion proprement dite du Beth Din, l’ouvrage de Stéphane Babey est un remarquable exemple de parcours spirituel qui, par-delà un cheminement personnel, a le mérite de retracer un itinéraire d’Alliance générique pour tous les vrais chercheurs de l’identité juive.

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Chroniqueur : Michel Bolassell

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