Sylvaine Delacourte, Les secrets des parfums. Mémoires d’une créatrice, Belin, 24/04/2024, 221 pages, 18€.
Préfacé par Philippe Charlier, le livre de Sylvaine Delacourte fait l’histoire de son rapport au parfum et de son expérience professionnelle dans le monde de la parfumerie. L’autrice évoque en premier lieu son rapport aux sensations olfactives de l’enfance, dans son Nord natal. Odeurs de la ferme voisine, de la cuisine maternelle, des fleurs du jardin, puis, après la construction par son père d’une maison dans le Var, la découverte d’un autre univers de senteurs, plage, figuiers, et le mimosa dont le parfum, bien plus tard, a inspiré Champs Elysées.
Les mystères du nez
Ces réminiscences la conduisent à expliquer, dans un bref chapitre, l’histoire de l’odorat humain, puis de s’interroger, en évoquant ses souvenirs, sr sa particularité, une sensibilité olfactive hors du commun, qui l’a conduite à travailler dans le milieu très fermé de la parfumerie, après une école d’esthétique, pour la maison Guerlain. Cette hyperosmie qui la caractérise demeure un mystère. On sait qu’elle n’est pas innée, mais ne se développe que chez certaines personnes, ce qui explique la rareté des « Nez », pas plus de 500 dans le monde, dont 50 en France. Ils travaillent plus facilement le matin parce que leur nez est plus éveillé et ont souvent faim, l’odorat et le goût s’avérant liés. Tout peut constituer une source d’inspiration, et certains Nez apparaissent si exercés que même le tabac n’altère pas, contrairement aux idées reçues, leurs capacités. Ils se parfument peu, pour éviter la saturation des odeurs. Les hommes et les femmes manifestent toutefois certaines différences en la matière. Si le nez des hommes se révèle stable et régulier, celui des femmes varie en raison de leurs fluctuations hormonales. Leur acuité olfactive peut rendre insupportables certaines odeurs, plus particulièrement en milieu clos. Mais le plus grand danger pour les nez est le risque d’anosmie, synonyme pour les professionnels de chômage technique, comme durant l’épidémie de Covid 19 qui a dévasté l’univers de la parfumerie.
Les voyages jouent un rôle très important pour les parfumeurs, car ils se révèlent inspirants, grâce à la découverte de nouvelles odeurs. Sylvaine Delacourte évoque le goût des Américains pour tout ce qui symbolise le propre, mais aussi les senteurs florales et chyprées. Le Japon, en revanche, privilégie pour des raisons de bienséance la discrétion olfactive dans l’espace public. Les parfums orientaux jouent sur la superposition et s’appuient sur des préparations à base de musc. Les familles pratiquent la cérémonie du bakhour, un mélange de résine, oud, encens, santal qui permet de parfumer les maisons et les corps. Ailleurs, certaines odeurs qui nous sont familières paraissent exotiques, comme la lavande au Brésil.
Histoire des parfums
Depuis toujours, l’homme a vécu entouré de parfums, pour masquer les mauvaises odeurs, soigner, séduire. L’homme préhistorique utilisait des bois odorants ou des résines pour pratiquer ses rituels, et dans l’Egypte antique s’est développé l’art de la parfumerie, grâce aux cérémonies funéraires. Les odeurs puissantes, en relation avec le divin, contribuaient à élever l’âme vers le ciel. On considérait Néfétoum comme le seigneur des parfums, dont le plus ancien parvenu jusqu’à nous serait le kyphi, un mélange de souchet odorant, de miel, de cannelle, de myrrhe, de santal, de genièvre dont on usait dans les temples. Cette association entre le parfum et le divin se retrouve chez les Grecs. Le mot parfum a pour étymologie le mot latin « per fumum » qui signifie « pour la fumée », une allusion à la communication entre la terre et les dieux. Les Romains se servaient peu des plantes et des huiles odorantes comme parfums, mais les concevaient plutôt comme des produits d’hygiène. Au Moyen Age, l’Eglise condamnait leur utilisation à des fins de séduction, mais permettait la culture par les moines de plantes médicinales, qui servaient notamment à la confection d’aqua mirabilis, des eaux miraculeuses destinées au traitement des voies respiratoires. Les Croisades ont apporté une révolution dans ce domaine, avec, en Terre sainte, la découverte de nouvelles senteurs, musc, ambre gris, épices, santal, jasmin, clou de girofle. Durant la Grande Peste, les senteurs ont été réhabilitées et utilisées à des fins prophylactiques. Le Vinaigre des quatre voleurs puis l’Eau de la reine de Hongrie, à visée médicale, ont été inventés à cette époque. Puis, de la fin du Moyen-Age à l’époque napoléonienne, les femmes ont utilisé des sachets de fleurs séchées qu’elles mettaient dans leurs vêtements pour se parfumer. L’hygiène déplorable de la Renaissance et du Grand Siècle va de pair avec l’usage de parfums entêtants. Une révolution olfactive s’est opérée au XVIIIe siècle avec l’invention de l’eau de Cologne, qui a migré du monde de la pharmacie à celui de l’industrie. Marie-Antoinette était très friande de parfums fabriqués à Grasse. Puis, au XIX e, les scientifiques ont introduit dans les parfums des molécules de synthèse, permettant une réduction des coûts et une fabrication massive. En 1889, une nouvelle révolution a été suscitée par la création de Jicky de Guerlain.
Le monde de Guerlain
L’autrice use d’une métaphore pour décrire son arrivée dans la célèbre maison : « Entrer chez Guerlain, c’est comme entrer en religion. » Le prestige de l’entreprise joue un grand rôle dans cette impression. Elle raconte sa soif de connaissances, son cursus, et met en évidence l’originalité de la maison, la première à se poser la question de la transmission et de la formation, et ses années d’enseignement, jusqu’au jour où Jean-Paul Guerlain l’a convoquée. Excessif, dérangeant, le patron était aussi un nez exceptionnel, à l’origine de la création de nombreux parfums, de Vétiver (1959), à Samsara (1989). Elle a travaillé à ses côtés comme évaluatrice durant des années jusqu’à ce que la vente de la maison au groupe LVMH brise ce partenariat.
Créer un parfum nécessite un certain nombre d’étapes : début de la conception et création d’un document appelé brief, d’une grande précision, qui s’interroge sur les nouvelles cibles, marchés et territoires olfactifs. Le storytelling relève du domaine du marketing. La question du nom joue un rôle essentiel. Certains s’imposent d’emblée, comme La petite robe noire, d’autres nécessitent de longues recherches. Sylvaine Delacourte rappelle en détail le long processus de conception du parfum, et la création de son flacon, nous initiant ainsi aux arcanes de la maison Guerlain. Elle explique ensuite quels sont les différents types et le fonctionnement des parfums, qui ne doivent pas négliger les tendances du moment, et montre comment celles-ci ont évolué en fonction du contexte historique. Elle analyse ensuite les succès et parfois les échecs des parfums les plus célèbres de Guerlain, met l’accent sur la fonction du service de presse, la loi du marché, les risques de plagiat, indique comment bien choisir son parfum, etc.
Un ouvrage écrit par l’ancienne directrice de création chez Guerlain, qui s’appuie sur son expérience pour nous initier à ce monde plutôt secret et revisiter l’histoire des senteurs. De lecture facile, il permet de mieux connaître les dessous de fabrication et les impératifs du marché, tout en nous renvoyant à notre intime rapport au parfum.
Chroniqueuse : Marion Poirson
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