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S‘il est un parcours original, c’est bien celui d’Arthur Lochmann !
Après les classes préparatoires, il interrompt ses études de philosophie. Les seuls concepts le lassent. Il veut affronter la matière et se tourne vers un métier manuel.
Un choix restreint lui étant proposé, il opte pour un CAP de charpentier. De ses dix ans de vie, confronté au bois et au travail en hauteur, donc au vide, il résultera un livre paru chez Payot en 2019 : « La vie solide. La charpente comme éthique du faire« . Il lui vaudra le prix Genevoix de l’Académie française. Il reprend ensuite ses études, se tournant alors vers le Droit, sans pour autant abandonner la philosophie. À 36 ans, il est désormais juriste et traducteur – entre autres de textes de westerns – une façon de s’approprier différemment l’espace.

Son second livre « Toucher le vertige », paru en août 2021, témoigne d’une autre expérience, cette fois liée au vide. Sortie quasi simultanément sur les écrans, l’adaptation par Patrick Imbert, du manga de Jiro Taniguchi, « Le sommet des dieux », traduit la fascination parfois mortifère qu’on peut éprouver pour « les toits du monde ». Arthur Lochmann ne s’en cache pas :

À partir de la fin de l’adolescence, j’ai commencé à être attiré par les sommets de roche et de glace. J’en ai gravi un certain nombre… Aujourd’hui encore le souvenir de quelques-uns d’entre eux suffit à me donner des frissons. J’aimais l’altitude mais j’avais le vertige.

Nous n’aurons pas droit à un récit d’aventures de cordées, tels qu’ont pu nous en livrer en leur temps Lionel Terray ou Louis Lachenal, ni d’exploit en solitaire à la manière de Walter Bonatti. Eux étaient dépourvus de toute appréhension du vide. Ce vertige, Arthur Lochmann reconnaît l’avoir recherché et y avoir même trouvé une forme de volupté. C’est toutefois, une ascension récente, celle de la Tour de l’Aiguille dans le massif du mont Blanc, qui déclenchera la crise la plus impressionnante : « L’image du vide m’a submergé… Le grand vide du ciel, celui de l’horizon sans bornes, et l’appel du glacier mille mètres plus bas qui hurle silencieusement… Il est certain que je vais, non pas tomber, mais m’évanouir…  » (p 127.)
Il faudra trois mots de sa compagne de cordée pour le faire émerger d’un malaise paralysant. « Toucher le vertige » nous relate les faits et les réflexions qui en découlent. Le livre en quatre parties, suit les étapes de l’ascension : montée, bivouac, sommet, descente.
Il alterne les passages narratifs et philosophiques, liant intimement le corps et l’esprit.
Et sa réflexion nous amène à nous interroger sur la nature du vertige tel que nous pouvons l’éprouver… Car les interprétations du mot sont multiples : s’agit-il d’un trouble lié à une pathologie ? D’un dysfonctionnement passager du système nerveux ? Est-il l’incarnation d’une angoisse face à une tâche trop vaste ? Est-il le résultat d’un étourdissement lié à un excès de sensations, ou de notre prise de conscience de l’immensité de l’univers ? Quel qu’il soit, comment y faire face ? Notre imagination n’est-elle pas en cause, et comment la maîtriser ?
Arthur Lochmann fait appel à la pensée de Kant, à celle de Descartes et de Sartre pour étayer la sienne. Son texte, enrichi de nombreuses notes, émaillé d’anecdotes personnelles, liant intimement le concept à sa perception de l’environnement et de son corps, est d’une lecture attrayante et particulièrement accessible. S’il ne fait pas mystère de ses propres fragilités, il nous amène, amateurs de montagne ou non, à nous interroger sur les nôtres. Et conscients de notre petitesse, par la distance et la raison, nous chercherons, en toutes circonstances, à garder le précaire équilibre de nos vies.

L’un des petits mystères de nos humaines existences tient d’ailleurs à ce que nous parvenions à demeurer ainsi dans la surface humaine des choses, le milieu fragile qu’est notre monde, quelque part entre le tout et le rien, entre l’absurde et le sublime.

Arthur Lochmann

Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm

Lochmann, Arthur, « Toucher le vertige », Flammarion, « Essais », 25/08/2021, 1 vol. (206 p.), 18€

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Une lecture qui rappelle que la vérité perd toujours contre le désir d’illusion.

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