Julie Estève & Agnès Vannouvong, Tout ce que le ciel promet, Le Seuil, 03/05/2024, 1 vol. (190 p.), 19,50€
Tout ce que le ciel promet de Julie Estève et Agnès Vannouvong est un livre publié aux Éditions du Seuil où se mêlent deux voix pour deux quêtes du soi.
Amies de mots et d’âme, Julie et Agnès se lancent dans un grand voyage intérieur à la découverte de leurs failles, de leur passé, des faiblesses qui les empêchent d’avancer dans leurs vies. De son côté, Julie décide de partir à la rencontre de son oncle et de sa tante dont les morts respectives restent mystérieuses au sein de sa famille, alors qu’Agnès cherche des réponses quant au grand amour, celui qu’elle attend et espère depuis toujours. Pour cela, elles font appel à des voyants, des médiums, des énergéticiens qui sont censés les aider à obtenir des réponses à leurs questionnements. On le sait, le développement personnel et l’émergence de l’intérêt pour la spiritualité nous montrent que la curiosité du soi prend une place de plus en plus importante dans nos vies. Tout ce que le ciel promet est une réflexion sur notre rapport à l’invisible, comment celui-ci s’immisce dans notre existence au point de nous pousser à le décortiquer, à le comprendre – et tout cela, en ayant pour toile de fond l’humour et les aventures de deux copines auxquelles on s’attache dès les premières lignes.
"La croyance est l'un des plus puissants anxiolytiques"
Ces derniers temps, la spiritualité est à la mode. Stéphane Allix, Patricia Darré, ou encore multiples voyants, médiums, ou tout simplement passionnés de l’ésotérisme prennent la plume pour nous raconter les morts. En même temps, il est difficile de fermer les yeux sur un sujet qui nous touche si intimement. Qui n’a jamais eu envie de connaître le visage de notre futur être aimé ? Qui n’a jamais eu besoin de parler à un être cher disparu ? Julie et Agnès nous plongent dans leurs recherches comme des journalistes en immersion avec la touche fantasque des romancières : elles documentent leurs parcours, leurs doutes, leurs moments de grâce, leurs découvertes, leurs rencontres. La croyance est d’ailleurs au centre de leurs interrogations : quelle place lui donner ? Surtout, est-ce que ces êtres de lumière capables de communiquer avec l’autre monde sont fiables ? Que nous apportent-ils ? Tout cela nous ramène à notre besoin absolument humain de donner du sens à notre existence : “On enchaîne sur le besoin ontologique des hommes de croire. On dirait que leur cerveau a été façonné pour ça, ne serait-ce que pour vivre ensemble. On en vient à cette conclusion, toute croyance ne peut exister que parce qu’on ne sait pas.” La croyance nous guide, elle est capable de miracles et de dérives. Julie et Agnès nous montrent à quel point il est difficile de se lancer dans un tel parcours, de se connecter à nos ressentis profonds, et de déterrer nos secrets bien gardés. C’est une démarche courageuse qui prend aux tripes, qui blesse tout autant qu’elle guérit.
"La spiritualité, c'est comme la mer, un mot qui paraît infini, presque impénétrable"
Véritable “road novel”, Tout ce que le ciel promet n’est pas une invitation à consulter davantage les voyants, ni même à en rejeter les conseils. Ce qui nous frappe, c’est surtout l’amour que les deux auteures portent à leurs quêtes personnelles au point de dépasser leurs peurs.
Agnès veut s’ouvrir au véritable amour, et surtout, connaître les raisons de ses blocages, les chaînes qui empêchent son cœur de s’épanouir. Et, ses questionnements la mènent sur le chemin familial, sur les traumatismes enterrés, les mots qui se gravent en nous comme un tatouage brûlant et qu’on tente de cacher. Une plongée en apnée dans son âme qui laisse tout de même au lecteur des instants de toute beauté et de poésie. Agnès est touchante, drôle et fait appel à notre besoin d’amour qui commence par celui qu’on devrait se donner : “L’amour est une chute libre, un risque à prendre, un acte de foi qui demande une immense confiance, une invitation à accepter notre condition humaine, un processus qui nous fait sortir de soi et aller vers l’autre.“
Julie souhaite des réponses concernant sa famille, notamment la mémoire transgénérationnelle qu’elle porte en elle, celle de deux voix disparues trop tôt, dans le silence dans le mystère. Réparer, oui, toujours réparer ce qui a atteint nos morts dans leurs cœurs, ce qui a brisé leurs âmes et les a condamnés au silence. Julie s’immerge dans le passé familial douloureux, celui qu’on veut taire, ou voir disparaître avec le temps – le temps qui n’efface pas toujours la douleur : “Je veux que ce cri fasse du bruit, savoir d’où il vient et pourquoi il me harcèle. Je dois trouver le courage de casser les secrets, de trahir le silence : pour mon fils, pour les vivants, pour réparer les morts.” Au contact de la mort, Julie retrouve des parties éparpillées de sa propre vie, de ses origines, du mal qui peut traverser une famille dont le deuil ne se fait pas. Elle est l’héritière d’une parole qui doit se transmettre pour boucler le cycle – et qu’elle transmettra à son enfant, mais aussi à ses lecteurs qui se retrouveront très certainement dans des schémas familiaux à élucider.
Et si la réponse à la spiritualité était la littérature ?
Au-delà des voyants, des médiums, des énergéticiens qui tracent l’ébauche de réponses, ce sont bien les mots posés qui clarifient le flou de deux existences, qui apportent du sens à ce qui nous paraît incompréhensible, indicible. La littérature guérit – à la fois l’écrivain et le lecteur, tous deux, aussi, en quête du pourquoi ?
Tout ce que le ciel promet, c’est que la littérature ouvre les portes de l’invisible à ceux qui sont prêts à se lancer dans l’aventure du soi.
Chroniqueuse : Manon Lopez
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