0
100

Trois hommes, un teckel, une cavale absurde pleine d’humour

Pierre Mikaïloff, L’Année du teckel, Héliopoles, 03/04/25, 206 pages, 19,90€

Chronique Mare Nostrum Pierre Mikaïloff, L’Année du teckel

Il suffit parfois d’un rien. D’un regard de travers, d’une parole malheureuse ou, comme dans le nouveau roman de Pierre Mikaïloff, d’un teckel au nom de maréchal prussien. Dans nos vies suspendues à un fil, où la chute semble toujours à portée de main, il y a quelque chose de follement réconfortant à observer celle des autres, surtout quand elle est orchestrée avec un humour teinté de désespoir. C’est tout le sel de L’Année du teckel, chronique d’un dérapage magnifique qui capture l’absurdité tragicomique de notre époque.

Félix Grossmann, journaliste pour la presse people, mène une existence qu’on pourrait qualifier de stable, à défaut d’être trépidante. Une soirée chez son ami Martin, photographe un peu à la dérive, suffit à tout faire basculer. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Enguerrand, un homme à la détresse contagieuse, flanqué de son chien Hindenburg. L’engrenage se met en marche lorsque le canidé, mû par une fringale, chaparde un rosbif chez un boucher, déclenchant une course-poursuite qui provoque un accident de la circulation. La machine médiatico-policière s’emballe : l’animal est identifié à tort comme un chihuahua et un portrait-robot de Félix, « l’homme au chihuahua », tourne en boucle sur les chaînes d’info. Pour une poignée de scènes burlesques, le voilà fugitif.

C’est dans ces moments de bascule que le talent de dialoguiste de Pierre Mikaïloff fait mouche, rappelant par éclats la verve d’un Audiard transposée au Paris des autoentrepreneurs précaires. Confronté par la police après l’accident, Enguerrand, imperturbable, lâche pour sa défense : « S’il fallait écouter les chauffards… Cette femme doit boire ou se droguer. C’est un danger public. » Tout le ton du roman est là : une lucidité féroce déguisée en repartie comique, où chaque personnage, englué dans ses propres misères, projette sur le monde un chaos qui lui est propre. La narration, fluide et sans temps mort, transforme une banale suite de galères en une véritable épopée du dérisoire.

Là où le roman surprend, c’est dans sa manière de ne jamais réduire ses personnages à des archétypes. Félix n’est pas un simple spectateur de sa propre débandade, mais un homme dont la solitude et les amours contrariées trouvent un écho dans cette fuite en avant. Son ami Martin, photographe en plein divorce, n’est pas un marginal, mais plutôt le reflet d’une petite bourgeoisie parisienne en crise, tentant de garder la face. Enguerrand, lui, est la véritable force chaotique, un astre noir de mélancolie dont la simple présence semble distordre la réalité. Le livre dresse ainsi le portrait d’une solitude masculine très contemporaine, où des hommes déçus, maladroits et attachants tentent de surnager. Leurs trajectoires dessinent une fine satire sociale de la vie urbaine, du journalisme précaire et de l’obsessionnelle mise en scène de soi.

Cette justesse dans l’observation des failles humaines et sociales confère au récit une dimension qui dépasse la simple comédie. On songe au cinéma d’Aki Kaurismäki pour cette façon de filmer des personnages que la vie a cabossés, avec un laconisme et une empathie qui touchent au cœur, même quand la situation prête à rire. Car Hindenburg, cet improbable agent provocateur, est bien plus qu’un accessoire. Il est le révélateur des fêlures, le point de fixation absurde autour duquel se cristallisent les névroses des uns et des autres, rappelant que l’attachement se niche parfois dans les recoins les plus insensés de nos vies.

L’Année du teckel est une lecture savoureuse, un miroir à la fois cruel et réconfortant tendu à nos existences fragiles. Le livre offre une jubilation lucide face à l’absurdité du monde, nous laissant avec un sourire en coin, certes, mais aussi avec une indéniable tendresse pour ses antihéros magnifiques. Un roman qui prouve que la meilleure façon de parler de notre temps est parfois de le regarder droit dans les yeux, et d’en rire.

Soutenez notre cause - Soutenez notre cause - Soutenez notre cause

Pour que vive la critique littéraire indépendante.

Nos articles vous inspirent ou vous éclairent ? C’est notre mission quotidienne. Mare Nostrum est un média associatif qui a fait un choix radical : un accès entièrement libre, sans paywall, et sans aucune publicité. Nous préservons un espace où la culture reste accessible à tous.

Cette liberté a un coût. Nous ne dépendons ni de revenus publicitaires ni de grands mécènes :
nous ne dépendons que de vous.

Pour continuer à vous offrir des analyses de qualité, votre soutien est crucial. Il n’y a pas de petit don : même une contribution modeste – l’équivalent d’un livre de poche – est l’assurance de notre avenir.

Certains mensonges sont si brillants qu’on choisit d’y croire.

Olivier Cariguel retrace ici l’une des manipulations les plus stupéfiantes du XXᵉ siècle : la création d’un fakir imaginaire devenu vedette parisienne. Son enquête, incisive et implacable, révèle la mécanique d’une imposture montée avec une audace déconcertante. Chaque révélation expose la facilité avec laquelle une société peut être séduite, dupée et entraînée dans un récit qui dépasse la raison. Rarement la manipulation aura été décrite avec autant de précision et de force.


Une lecture qui rappelle que la vérité perd toujours contre le désir d’illusion.

À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE
autres critiques
Days :
Hours :
Minutes :
Seconds