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Javier Cercas, Le fou de Dieu au bout du monde, Actes Sud, 03/09/2025, 480 pages, 24,50€

Singulier pour ne pas dire déconcertant, le Fou de Dieu au bout du monde l’est à bien des égards. D’abord, par le sujet abordé par l’auteur se définissant lui-même comme athée, farouchement anticlérical. Et davantage encore par le retentissement provoqué par sa parution, trois semaines à peine après la disparition du personnage éponyme de l’ouvrage : le pape François.
Précisément l’avant-veille de la Journée internationale du livre, lors de la fête de la San Jordi, particulièrement célébrée en Catalogne, région où réside l’auteur.
C’est dire l’accueil inattendu reçu par El loco de Dios en el fin del mundo, titre de l’ouvrage en espagnol, qui a vu Javier Cercas enchaîner plateaux TV et stands de librairies par cette seule conjonction d’événements.
Spécialiste de l’histoire contemporaine, membre de l’Académie Royale espagnole et romancier à succès autour d’êtres torturés ou mal-aimés à l’époque du franquisme, l’auteur des Soldats de Salamine ou du Monarque des ombres n’avait que peu varié sur ce genre de thématiques.
 Aussi avait-il été surprenant comme il s’en explique dans l’incipit du livre, de le voir par ce roman sans fiction, effectuer un virage à cent quatre-vingts degrés.

Je suis un laïc militant, un rationaliste obstiné, un impie rigoureux. Et pourtant, je me trouve ici dans un avion à destination de la Mongolie en compagnie du vieux vicaire du Christ sur la terre, m’apprêtant à l’interroger sur la résurrection de la chair et la vie éternelle.

Un aval sous condition

Tout avait commencé deux années auparavant au Salon du livre de Turin 2013, lorsque le romancier espagnol fut choisi parmi une poignée de créateurs afin d’inaugurer le cinquantième anniversaire de la collection d’art moderne et contemporain des musées du Vatican.
Dans un premier temps, ce dernier pensa décliner l’offre, mais quand la même personne, en réalité le responsable éditorial de la librairie vaticane assortit la proposition d’un déplacement en Mongolie où devait se rendre le pape avec, à la clé, l’écriture d’un livre sur la personne du pape et l’actualité de l’Église, l’auteur se prit à réfléchir. Et donna peu après son consentement à une condition, celle d’avoir, ne serait-ce que cinq minutes, un face-à-face avec le pape, desiderata qui sera aussitôt accepté.
La démarche validée, c’est à un “page turner”, une sorte d’accro livre que le romancier catalan va dès lors s’atteler comme il le souligne à l’issue du chapitre onze.

Je décidai que si j’écrivais un livre sur le pape, je serai obligé d’écrire un livre différent, le plus extravagant qui soit, un mélange de chronique, d’essai et d’autobiographie, une expérimentation bizarre, un bric-à-brac, si possible un festin regorgeant de plats, une folie solidaire avec la démence du fou de Dieu, une expérience joyeuse et complètement dingue…

Au gré de son insertion dans l’environnement du siège de Pierre, Javier Cercas va de fait aborder nombre de questions relatives à la personnalité du pape, comme sa jeunesse en Argentine, ses débuts dans la mouvance jésuite, la particularité du péronisme ainsi que le rôle des missionnaires catholiques dans les régions les plus éloignées d’Amazonie.
D’autres thématiques apparaîtront au rythme des rencontres ou des réflexions comme la manière dont la papauté gère l’image écornée de l’Église après les scandales d’abus sexuels, les cas de corruption ou encore le déficit grandissant de vocations sacerdotales et la perte de fidèles.
Nombre de sujets auxquels l’auteur fera réponse au travers de discussions auprès de certains prélats avec autant de sérieux que de gouaille voire d’effronterie qui font le sel de l’ouvrage.
Mais l’un d’entre eux primait dans la tête de Javier Cercas lié à son environnement familial, celui de sa mère fervente catholique, depuis peu atteinte de la maladie d’Alzheimer, et assurée de pouvoir à sa mort retrouver son mari disparu.

"Tu as entendu maman, sans le moindre doute !"

De sorte que, lorsque les plus hauts responsables du Vatican lui demanderont sur quoi prioritairement voulait-il parler au pape, il leur répondra. Je veux l’interroger sur la résurrection de la chair et de la vie éternelle, pour savoir si sa mère verrait son père après la mort.
À vrai dire, ce n’est pas la première fois qu’une telle interrogation était posée au pape. Dans le livre Credo, celui-ci y avait répondu de façon précise, tellement pour lui un chrétien qui ne croit pas à la vie éternelle n’est pas un vrai chrétien, pas plus que celui qui ne croit pas à la résurrection de la chair. En citant notamment pour étayer sa conviction la phrase de l’apôtre Paul dans la première épître aux Corinthiens : “Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine et votre foi aussi est vaine.”
Après maints apartés avec les cardinaux et observateurs çà et là rencontrés sur la géopolitique de l’Église, les imbroglios de la Curie, voire de la théologie de la libération en Amérique latine, l’auteur n’en reviendra pas moins sur l’interrogation récurrente au sujet de la vie éternelle qui sera finalement délivrée dans les dernières pages de l’ouvrage.
Sans révéler l’entièreté de son entretien avec le pape Argentin, le romancier catalan va ainsi pouvoir rassurer sa mère diminuée mais qui n’en comprendra pas moins la révélation de son fils. “Tu as entendu maman, le pape a dit que tu reverrais papa. Sans le moindre doute.”
Ce sont ces quatre mots sans équivoque que le fils romancier va réitérer, en s’appuyant sur l’ultime conviction avouée par le pape François.

C’est comme ça, ce que le Seigneur nous a promis. Il va nous emmener tous là-haut. Avec Lui. Votre mère, votre père… Vous aussi, bien que vous ne soyez pas croyant. Ça lui est égal. Que voulez-vous qu’on y fasse. Ce sont les affaires de Dieu.

Un récit fort, aussi dense qu’étrange venant d’un auteur “impie”, mais qui n’en demeure pas moins attractif jusqu’au dénouement.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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