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Maxim Schenkel – Un jour, nous vivrons ensemble. Éditions Une autre voix, 02/2025. 313 pages, 34 €

Autodidacte de trente-deux ans, et ancien footballeur, Maxim Schenkel signe un premier roman Un jour, nous vivrons ensemble, documenté, tendre au milieu des désarrois quotidiens vécus depuis de trop nombreuses années. Un livre audacieux et bouleversant qui arrive à un moment crucial de cette petite partie de terre au Proche-Orient, et au centre de Tout… Un texte qui est habité par un idéal de paix. C’est, en fait, une fresque intergénérationnelle sur la mémoire palestinienne et la quête d’humanité dans le fracas du conflit israélo-palestinien. Trois générations d’une famille palestinienne se racontent autour de trois thématiques principales autour de l’exil, du retour « au pays », de la résistance et amour. Un livre sur la transmission, sur les silences familiaux et sur la possibilité fragile d’une réconciliation. Il explore les plaies ouvertes du Proche-Orient et interroge, sans manichéisme la possibilité d’une coexistence encore imaginable. Le titre sonne comme une promesse fragile.

Maxim Schenkel relie l’Histoire et la mémoire du massacre de Tantura en 1948 jusqu’à la tragédie qui se vit actuellement à Gaza. Longtemps nié avant d’être partiellement reconnu, il devient la scène fondatrice d’une tragédie transmise de père en fils. Les victimes anonymes reprennent chair au travers des pages. Cette humanisation des Palestiniens, trop souvent représentés à travers la violence ou la victimisation, constitue la véritable réussite du roman.

Un récit d’exil et de filiation

Les trajectoires croisées d’Hassan, Amine et Ali incarnent la diaspora palestinienne et la complexité des identités multiples. Ils sont pris dans la tourmente de l’Histoire. Ils incarnent la diaspora palestinienne et ses héritages douloureux. Les générations se succèdent mais la blessure est toujours là à vif. L’exil en Normandie, le retour d’Amine à Naplouse, la quête d’Ali entre amour et mémoire composent une structure en miroir, où chaque génération rejoue le dilemme entre racines et avenir. Hassan est un jeune Palestinien rescapé du massacre de Tantura. Il s’exile en France avec son épouse Fatima. Il laisse la Nakba derrière lui, mais l’emporte quand même dans sa tête et dans son cœur. En France, le couple tente de reconstruire une vie ordinaire, entre travail, silence et nostalgie d’une terre perdue. Leur fils Amine, né au pays de Descartes et de Molière, grandit entre deux cultures. Dans les années 1980, il retourne à Naplouse pour « comprendre » ses origines et affirmer une identité qu’il sent incomplète. Amine est élevé en Normandie. Il retournera en Palestine dans les années 1980 pour comprendre le passé. Il y fonde un journal clandestin, aime et résiste, avant de sombrer dans le désenchantement. Ali, est le petit-fils d’Hassan. Il incarne la génération du passage. Infirmier à Caen, amoureux de Sara, une Israélienne. Il retourne à Gaza à la recherche de sa mère disparue et découvre la guerre contemporaine, celle qui se joue sous nos yeux, entre ruines et espérance. L’Histoire qui se fait est une cicatrice que chaque génération tente, à sa manière, de refermer.

Un livre de dénonciation et d’authenticité

Il dénonce les violences israéliennes sans nier celles du Hamas, critique le cynisme des puissances arabes et occidentales, et appelle à un humanisme post-national. Pour lui, raconter reste un acte de résistance. Le livre a des résonances plus morales que politiques. La résilience reste très certainement le dernier carré où l’espérance humaine d’un côté comme de l’autre peut encore permettre à l’Homme de rester debout. Il oppose « Israël oppresseur » à un « peuple palestinien idéalisé ». Cependant, celui qui est allé sur cette Terre le sait. Il est difficile de ne pas prendre parti, d’être mesuré, de garder un cœur ouvert devant des scènes qui soulèvent les cœurs. Dans le contexte actuel, il est difficile d’avoir une voix authentique, une vision morale pour pouvoir poser des mots vrais. Ce roman touche parce qu’il est courageux, et surtout parce qu’il propose un chemin de paix. Il ose là où d’autres ont baissé les bras soit par désintérêt soit par nécessité politique ou idéologie, ou soit encore par je-m’en-foutisme. Parler aujourd’hui de paix pour sortir de l’engrenage victimaire est salutaire. Il n’y a plus de visage. Il n’y a que des ombres, des ennemis, des histoires de sang et des appels à poursuivre…, mais jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Le romancier préfère raconter plutôt que mettre en avant le manichéisme, dénonçant les injustices sans verser dans la haine. Il rappelle que la paix commence par la reconnaissance de la douleur de l’Autre.

La paix dans un monde de murs et d’ostracisme

En choisissant de raconter l’histoire d’une famille palestinienne sur trois générations, il souhaite aborder des destins entremêlés explorant les thèmes de la mémoire, de l’exil et de la transmission. Le poids du silence, des non-dits et la force des liens familiaux restent en filigrane. Il raconte des vies ordinaires : un mariage interrompu par la guerre, une jeunesse volée, un amour interdit. Il redonne une humanité à ceux que la politique réduit souvent à des chiffres. Les Palestiniens dans ce livre sont dépeints non comme des héros et pas plus comme des victimes. Ils sont « des êtres d’amour », de mémoire et de dignité. Ce qui est vrai pour la Palestine et Israël l’est aussi pour d’autres guerres. Chaque génération tente, à sa manière, de réparer la fracture du monde et d’inventer une forme de coexistence. Les scènes de Gaza, les ruines, les visages d’enfants blessés rappellent nos écrans saturés d’images. Son roman ne prend pas parti pour un camp : il choisit le camp de la vie. C’est davantage un livre qui rassemble parce qu’il est un ouvrage de conviction qui ose jeter des ponts entre deux rives qui paraissent de plus en plus s’éloigner et difficiles à traverser. « Un cri dans le vacarme des armes, pour rappeler que raconter peut encore sauver ». Une posture qui bouleverse dans la nuit des ombres qui détruit des vies de part et d’autre. Chaque mot semble écrit depuis la vie, et non depuis la théorie. En progressant dans la lecture on a l’impression que le texte produit un espace de miséricorde, qu’il devient un roman de pardon.

La restitution d’une partie de l’humanité rendant aux Palestiniens une figure humaine

Il restitue une humanité aux Palestiniens quand d’autres les perçoivent seulement par la négative, par la violence alors que dans tous les peuples il y a des ombres et des lumières… Une reconnaissance mutuelle peut apaiser le conflit en dehors de tout affrontement religieux ou idéologique. « Résister, c’est participer à la reconstruction d’une humanité plus juste et plus tolérante. Raconter, c’est refuser de disparaître », dit-il dans une interview récente. La question religieuse, redisons-le, n’est pas abordée. C’est cependant le nœud gordien, mais pas seulement, de ce conflit. C’est certainement une faiblesse de ce livre mais qui n’enlève ni ne soustrait rien à sa profondeur.

Un roman profondément humain

Maxim Schenkel redonne un visage à la Palestine et croit encore en la paix. « C’est un livre de paix », dit-il. Le but de ce premier roman courageux nous invite à réapprendre la paix, à retisser les fils de l’humanité et de la concorde, à devoir dialoguer pour construire un demain viable. Le livre interroge la possibilité d’une coexistence entre Israéliens et Palestiniens à travers le destin de trois générations d’une même famille. Comment continuer à croire à la paix quand la guerre façonne l’identité même des peuples ? Est-il encore possible de réenchanter l’humain au cœur du désastre. Il tombe malheureusement parfois dans une simplification ambiante devant les contradictions religieuses et politiques criantes. Il n’y a quasiment une pensée réflexive autour des trois religions monothéistes présentes sur cette terre Trois fois sainte. Il n’y a jamais des « bons » d’un côté, et des « mauvais » de l’autre. Les « bons » seraient les Palestiniens et les « mauvais » les Israéliens ! C’est bien sûr, beaucoup plus compliqué que cela. Les rapports entre les peuples arabes et les Palestiniens sont peu traités ou minorés, alors qu’ils sont essentiels à la compréhension de la tragédie entre les belligérants.

Un espace pour reconstruire

Le souffle moral est présent d’un bout à l’autre du livre ; et cela nous change tellement de la vacuité de sens et de la défaite éthique du moment. À la manière d’Albert Camus dans le livre « L’Homme révolté », Maxim Schenkel oppose à la violence la dignité, à la vengeance l’amour, à la résignation la foi dans l’humain. Il ne cède jamais au pathos. Il signe avec ce premier roman une œuvre profondément humaine, qui redonne foi en la vie, en l’espérance d’un avenir meilleur pour ces deux frères en inscrivant dans la pierre et dans les cœurs les éléments pour une vie ensemble ou à côté les uns des autres. Y-aurait-il un autre avenir possible que celui de la concorde et de la paix ? Ces Hommes-là ont leur propre avenir entre leurs mains. À nous de les aider à accomplir ce miracle sur cette Terre trois fois sainte…

Image de Chroniqueur : Patrice Sabater

Chroniqueur : Patrice Sabater

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