Akli Tadjer, De ruines et de gloire, Éditions les Escales, 08/02/2024, 1 vol. (324 p.), 20€
Akli Tadjer nous offre, avec De ruines et de gloire, une plongée dans l’Algérie de 1962, alors que le pays vit les derniers chaos de sa guerre d’indépendance. Véritable fresque historique, le roman dépeint, avec une acuité saisissante, les conséquences de ce conflit sur la société algérienne. Akli Tadjer ausculte les plaies encore béantes de cette guerre, explorant la violence et les traumatismes qui ont marquent toujours au fer rouge les corps et les âmes.
Une fresque historique et intime
Mais au-delà de la chronique historique, c’est avant tout une histoire intime que nous conte l’auteur. À travers le destin d’Adam, jeune avocat tiraillé entre deux mondes, et de son père, en quête d’une épouse disparue, le romancier nous entraîne dans les méandres des vies bouleversées par la tourmente. Chaque personnage devient le prisme à travers lequel se réfracte la lumière complexe de l’Histoire, chaque parcours individuel se fait l’écho des déchirements collectifs.
Car c’est bien de déchirements dont il est question dans ce roman. Déchirements d’un pays écartelé entre le désir d’indépendance et le poids de la colonisation. Déchirements des familles, des amitiés, des amours, sacrifiés sur l’autel d’une guerre qui n’en finit pas. Déchirements intérieurs, enfin, de ces êtres pris dans la tourmente, contraints de naviguer entre des loyautés conflictuelles.
Mais au cœur des ténèbres, Akli Tadjer fait briller la flamme inextinguible de l’espoir. Espoir d’une Algérie libre et indépendante, espoir d’une réconciliation entre les peuples, espoir d’une vie nouvelle à bâtir sur les ruines du passé. Comme l’écrivait Albert Camus, lui-même enfant de cette terre : “Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible.”
La quête identitaire et la reconstruction : des destins bouleversés
Si De ruines et de gloire est une fresque historique, c’est avant tout le roman des destins individuels bouleversés par la guerre. L’auteur explore les méandres de l’âme humaine, mettant en lumière la quête identitaire de ses personnages.
Adam, brillant avocat formé en France, incarne toutes les contradictions de cette génération prise entre deux cultures. Algérien de cœur mais Français d’éducation, il doit concilier son aspiration à la justice avec son attachement à un pays qui l’a vu naître. Sa défense d’Émilienne Postorino, jeune française d’Algérie pro-OAS, est le symbole de ce déchirement intérieur, de cette volonté de transcender les clivages pour honorer son serment d’avocat.
Émilienne Postorino illustre la complexité de la situation des pieds-noirs pendant la guerre d’indépendance. Accusée d’un acte violent, elle se retrouve prisonnière de ses choix et de ses convictions. Sa quête identitaire, mise à l’épreuve par les bouleversements du pays, la pousse dans ses retranchements. Confrontée à l’hostilité et à l’abandon, elle puise dans ses ressources intérieures pour tenter de se reconstruire. Si son parcours est semé d’ombres, sa résilience face à l’adversité traduit aussi une forme d’espoir. À travers ce personnage ambigu, miroir des déchirements de l’époque, Akli Tadjer explore la difficulté de trouver sa place dans une Algérie en pleine mutation. Sans justifier ses actes, il invite à une réflexion nuancée sur les choix individuels pris dans la tourmente de l’Histoire, et sur la capacité de l’être humain à se réinventer.
Et que dire de Zina, la mère d’Adam, figure tragique et magnifique, qui porte en elle toutes les souffrances et tous les espoirs de la condition féminine algérienne ? De son mariage forcé avec le caïd El Hachemi à sa séquestration par Tarik, “l’antifrançais devenu harki”, son parcours est un condensé des souffrances endurées par les femmes algériennes pendant la guerre.
L'engagement et les valeurs humaines : la grandeur des choix individuels
Mais l’œuvre d’Akli Tadjer ne serait pas complète sans cette réflexion profonde sur l’engagement et les valeurs humanistes. Car au-delà des destins individuels, ce sont bien les choix de chacun qui font la trame de ce roman.
Adam, en décidant de défendre Émilienne envers et contre tout, fait le choix de l’intégrité et de la compassion. Il refuse de se laisser enfermer dans les rôles que la société lui assigne, préférant écouter cette petite musique de l’âme qui fait de lui un être libre. Sa quête de justice, sa volonté de comprendre l’autre au-delà des préjugés, en font un héros des temps modernes.
L’engagement chez Akli Tadjer ne se limite pas aux actes de bravoure sur la scène publique. Il se manifeste surtout dans la sphère intime, à travers les gestes d’amour du quotidien. L’amour d’Adam pour ses proches, dans un contexte de guerre, apparaît comme un rempart contre la haine ambiante. Ces liens affectifs sincères posent les jalons d’un avenir meilleur, d’une possible réconciliation. L’auteur suggère que c’est dans l’attention portée aux autres, dans la sphère privée, que peut germer l’espoir d’un renouveau pour l’Algérie.
Les dernières pages de ce roman à suspens ouvrent sur une interrogation : quel avenir pour l’Algérie au lendemain de l’indépendance ? Si le référendum sur l’autodétermination semble sceller le destin politique du pays, c’est surtout dans le cœur des hommes et des femmes que se joue la véritable bataille. Après tant d’années de violence et de déchirements, sauront-ils trouver la force de se reconstruire, de bâtir ensemble un futur porteur d’espoir ?
Entre les lignes de ce dénouement, Akli Tadjer nous invite à une réflexion sur la résilience et le courage nécessaires pour affronter les lendemains incertains. Saura-t-on, comme ses personnages, puiser dans les ruines du passé la force de bâtir un avenir porteur d’espoir ? C’est tout l’enjeu de ce roman, qui se fait l’écho des questionnements d’une nation à la croisée des chemins.
Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu
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