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Un livre au titre ambitieux : vingt portraits d’intellectuels résistants, de collaborateurs et surtout d’ambivalents. Face à un tel sujet, on n’aurait pu s’attendre à un ouvrage d’au moins 500 pages. Le talent de Laurent Wetzel aura été, en moins de 225 pages, d’aller à l’essentiel, sans circonlocution, et d’avoir perçu comment s’est opéré le “point de bascule » de chaque intellectuel dans l’un des deux camps, et ceux qui ont su naviguer de l’un à l’autre.
Dès l’avant-propos, l’auteur donne une définition singulière du terme “intellectuel” : “Dans l’histoire culturelle de notre pays, quand on parle d’‘intellectuels’, on désigne, depuis l’affaire Dreyfus, cette partie de la population lettrée qui s’engage dans le débat et le combat politiques. En général, des journalistes, des universitaires ou des écrivains, voire des clercs, plus ou moins renommés, qui le font parfois au péril de leur liberté ou de leur vie”. C’est cette même définition que donnait Michel Winock dans son ouvrage : “Le Siècle des intellectuels”, couronné par le prix Médicis essai en 1997. Il faut en convenir, l’un et l’autre ont raison. Tous les portraits présentés sont ceux des “enfants” de l’affaire Dreyfus. Ils sont le fruit du “déterminisme social” dont Émile Durkheim a été l’un des grands théoriciens. Derrière chaque femme et chaque homme, on pressent les influences qui se sont imposées, dès leur enfance, avec leur idiosyncrasie morale. Plusieurs idées maîtresses s’affrontent : pacifisme, communisme et antisémitisme, quand elles ne s’entremêlent pas. Marc Block a donné trois facteurs pour expliquer la défaite de 1940 : “la gérontocratie des élites, le pacifisme et le défaitisme” (p. 14). Ce que l’ouvrage ne dit pas, c’est l’immense responsabilité des intellectuels dans cette défaite. Dès 1934, André Suarès, écrivain injustement oublié, avait mis en garde ses confrères après la lecture de “Mein Kampf” dans sa langue originelle. Dans la célèbre “Nouvelle Revue Française”, que dirigera plus tard le collaborateur Drieu La Rochelle, il avait dénoncé le machiavélisme des nazis, à commencer par son chef, dont il considérait l’ouvrage comme : “un vomissement de sept cents pages, vingt-neuf milles lignes de haine, d’injures et de bave, un monument d’imposture et de bestialité ; d’ailleurs pas une idée personnelle, rien d’original.” Il avait raison sur tous les points. “Mein Kampf” n’était qu’un vulgaire plagiat d’idées pangermanistes en vogue depuis le milieu du XIXe siècle. Seul, Jean Paulhan avait apporté son soutien à André Suarès. Tous les autres intellectuels, à commencer par André Gide, voyaient en lui un “juif hystérique” qu’il fallait museler ! Il fut exclu de la N.R.F. et il faudra attendre 1939 pour que Grasset se décide enfin à publier “Vues sur l’Europe”. C’était trop tard. De l’autre côté du Rhin, dans la patrie de Goethe, de Kant, de Novalis, les intellectuels – Martin Heidegger en tête – avaient adhéré au nazisme et, sans cette adhésion des élites, qu’elles soient intellectuelles et financières, Hitler n’aurait jamais pu accéder au pouvoir. En 1933, à la suite de la première édition de “Mein Kampf”, Hitler qui était encore autrichien avait écrit : “Je n’aurais jamais cru que le peuple allemand fut si crédule”. N’était-ce pas la preuve, qu’à de rares exceptions soulignées par Laurent Wetzel, il n’existait plus d’intellectuels en Allemagne et en France, ou qu’ils avaient largement adhéré aux solutions radicales prônées par le national-socialisme…
Revers de la médaille : le livre est trop court. On aurait aimé les portraits de Louis Ferdinand Céline, de Ramon Fernandez et peut-être plus d’ambivalents comme Jean Cocteau, Sacha Guitry, ou Simone de Beauvoir qui – un temps – occupa un poste à “Radio Vichy”. Pour s’en justifier, dans “La Force de l’âge”, elle écrira : “J’aurais aimé ‘faire quelque chose’, mais je répugnais à une participation symbolique et je restai chez moi.” Les intellectuels ont eu un rôle majeur durant l’Occupation. En filigrane, l’ouvrage de Laurent Wetzel a le mérite de nous incliner à l’introspection. Et nous, si nous avions été des intellectuels, qu’aurions-nous fait durant cette période de propagande, de désinformation et de mensonges ? Peut-être la réponse se trouve-t-elle chez Hannah Arendt : “Si tout le monde vous ment toujours, la conséquence n’est pas que vous croyez aux mensonges, mais que personne ne croit plus rien. Ce qui signifie que le peuple est privé non seulement de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez…” (“The Last Interview and Other Conversations” ; Melville House Publishing ; New York, 2013)
Fin septembre 1938 Henry Miller avait déclaré : “Il faut absolument que quelqu’un le fasse rire, ou nous sommes tous perdus. ” Le 20 avril 1939, trois romanciers français : Francis Carco, Roland Dorgelès et Pierre Benoit décidèrent d’envoyer un avertissement à Hitler. Tous trois se rendirent dans un bureau de poste. Roland Dorgelès, qui avait pu se procurer l’adresse du Führer dont c’était le cinquantième anniversaire, dicta le message suivant : “Un groupe d’écrivains français vous souhaite un bon anniversaire – à condition que ce soit le dernier. Signé, R. Dorgelès, F. Carco P. Benoit. ” Dans un premier temps, le préposé refusa, mais devant l’insistance des trois écrivains le persuadant qu’il n’y a pas un seul mot injurieux, il s’exécuta. La réponse, nous la connaissons : Hitler n’avait pas le sens de l’humour…

Jean-Jacques BEDU
contact@marenostrum.pm

Wetzel, Laurent, « Vingt intellectuels sous l’Occupation : des résistants aux collabos », Rocher, Histoire, 28/10/2020, Disponible, 1 vol. (256 p.), 18.00€

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