Antonio Vivaldi, dont les concertos des « Quatre Saisons » sont probablement l’une des œuvres les plus célèbres du répertoire classique, est mort à Vienne en 1741 dans l’indifférence générale avant d’être enterré dans la fosse des anonymes. Que s’est-il passé pour qu’un des compositeurs les plus admirés de son époque connaisse une fin aussi obscure ?
Le roman de Roger Baillet débute comme une quête autour de ce mystère. Un voyage à Venise pour comprendre le destin extraordinaire du prolifique musicien et tenter de percer les raisons de son départ pour l’Autriche. Mais la réponse apportée par l’auteur – professeur émérite spécialiste de la Renaissance italienne – n’est pas celle d’un universitaire mais bien celle d’un romancier dont la plume talentueuse vient combler les lacunes de l’Histoire que permettent de reconstituer les archives.
Le lecteur découvre ainsi le journal fictif de Camille, élève de la Pietà, institution charitable vénitienne où l’on accueille les enfants abandonnés ou ceux issus de familles indigentes. La jeune fille, née dans une île sauvage de la lagune, arrive au Pio Ospedale, à l’âge de six ans. Les nouvelles venues sont formées par les pensionnaires plus âgées et, une fois adolescentes, deviennent professeures à leur tour. Camille apprend à lire et à écrire mais se voit surtout initiée à l’art subtil de la musique en étudiant le violon puis le violoncelle qui deviendra son instrument de prédilection. Elle suit les leçons du Révérend Père Antonio Vivaldi, surnommé « il prete rosso » (le prêtre roux) qui occupe à cette époque la charge de compositeur principal à la Pietà et lui transmet de précieux conseils : « vous croyez que c’est plein de notes qui se touchent, serrées les unes contre les autres. Mais la musique, c’est comme les étoiles dans le ciel des palpitations de lumière dans le noir, un feu d’artifice de sons dans un immense silence ! »
Devenue aveugle à la suite d’un accident, Camille n’en est que plus sensible à son art. Sa cécité ne l’empêche pas de jouer et elle accompagne désormais Vivaldi dans des concerts privés donnés dans les maisons patriciennes. En véritable esthète, Roger Baillet offre de très belles pages sur la musique mais aussi la peinture à travers le personnage de Rosalba Carriera, mère de substitution pour la jeune fille. Aujourd’hui méconnue du large public, Rosalba Carriera fut en son temps une célèbre portraitiste, spécialisée dans les miniatures au pastel de style rococo. Un voyage à Rome avec la famille Vivaldi est aussi le prétexte à une touchante description de la Piéta de Michel-Ange, que Camille découvre du bout des doigts, après avoir entendu le Stabat Mater de son professeur, chanté par un castrat : « Pendant que le violon disait cette douleur lancinante, la voix le consolait avec une ineffable douceur… Le secret de l’unité retrouvée dans le déchirement de la séparation. […] Étroitement unis, dans le masculin et le féminin, ils ne pouvaient plus se passer l’un de l’autre pour nous conduire à cet apaisement brûlant des larmes. »
L’auteur arrive à se glisser avec un talent remarquable dans la peau de la jeune aveugle, dont l’ouïe et le toucher sont devenus les sens privilégiés pour explorer le monde.
Bien plus qu’un simple roman historique, « Vivaldi ou l’évanescence de l’être » est une délicieuse promenade esthétique qui invite à redécouvrir l’œuvre du grand compositeur vénitien et de nombre de ses contemporains moins connus – Palestrina, Albinoni, Benedetto Marcello, Johann Hasse – pour qui l’art n’était pas un simple gagne-pain mais le moyen privilégié de dialoguer avec Dieu et les hommes.
Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm
Baillet, Roger, « Vivaldi ou L’évanescence de l’être », L’Harmattan, « Amarante », 27/09/2013, 1 vol. (237 p.),21€
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