Sans doute n’existe-t-il qu’un auteur capable de faire cohabiter au cœur d’un même roman le sonnet n° 16 de Shakespeare, le petit village de Vernet-les-Bains dans les Pyrénées Orientales, un garçonnet surnommé Prince, une vieille mais pétillante Roberta, les rockers de U2, un Hibou gourou, les plages d’Irlande, des amitiés fidèles et des amours surnuméraires. Sans doute, pour écrire « Voilà les anges » n’existait-il qu’une seule personne, elle-même native de Vernet- les- Bains, fan de Shakespeare, de U2 et des plages d’Irlande, amoureux éternel et ami fidèle, écorché vif et hypersensible assumé. Bruno Calicciuri dit Cali est celui-là, seul capable d’écrire ce roman-là, évident coupable magnifique d’avoir produit ce petit bijou poétique et rock and roll.
Bruno est le prénom que partagent l’auteur et le héros du roman. Le mimétisme entre l’être réel et celui de fiction est d’ailleurs savamment entretenu tout au long de « Voilà les anges » puisque le Bruno du livre est chanteur, catalan de naissance, quinquagénaire, enfant trimballant dans le sillon de ses rides de presque vieux des larmes d’enfance jamais vraiment asséchées. Là s’arrête le mimétisme puisque le Bruno de fiction est un chanteur sur le déclin, ressassant ad libitum les carrefours ratés de sa vie et sombrant peu à peu dans une dérive autodestructrice que seules de belles rencontres pourront enrayer. Ces rencontres, les fameux « anges » du titre sont l’occasion pour Cali de dresser une galerie de portraits attachants, personnages tous plus ou moins ballottés par la vie, tous oscillant entre le noir désespoir et la solaire résilience et tous empruntant, à différentes échelles, traits physiques, psychologiques, prénoms et histoires à des personnages réels.
« Voilà les anges » est un roman de poète, et pas seulement parce que le sonnet n° 16 de William Shakespeare en constitue le fil rouge, le mantra auquel le héros se raccroche quand tout semble perdu et vain. « Au mariage d’esprits fidèles je ne puis admettre empêchements ; l’amour qui change devant le changement, ou cède à l’agitation avec l’agitateur, etc… », sublimes mots offerts aux amoureuses croisées ou retrouvées, aux enfants en mal de père, aux vieilles dames tendres et mutines. Non, les mentions répétées au plus célèbre des dramaturges anglais ne sont pas les seules incises poétiques d’un roman où tout est en fait poésie, de l’incandescence des sentiments ressentis aux mots choisis pour les décrire, des accents rimbaldiens aux destins verlainiens qui rendent ce récit intemporel et universel.
« Voilà les anges » est aussi un roman de chanteur-rocker, un roman dont la bande-son est constituée des propres chansons de Cali auxquelles l’on pense immanquablement, ainsi que des musiques qui ont façonné l’homme et l’auteur. Tout au long des 202 pages du livre, une petite musique nous court dans la tête, en commençant par le titre éponyme de Gamine, en faisant un détour par les incontournables chansons de U2, les riffs des guitares électriques, les blousons de cuir et les posters au-dessus du lit.
Au final, Cali réussit un étonnant et détonnant mélange dont il était sans nul doute le seul alchimiste possible. Il parvient à dérouter le lecteur devant l’audace de la composition mais aussi à le rassurer de gestes et de mots, de ces « rassurances » que l’on ressent le soir au fond d’un bar en y retrouvant un tendre et vieil ami. Ce faisant, il rejoint le panthéon de nos propres anges, posant sur nos blessures un baume tendre, poétique et rock and roll.
Alain LLENSE
contact@marenostrum.pm
Cali, « Voilà les anges », Albin Michel, « Romans français », 03/11/2021, 1 vol. (201 p.), 17,90€
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