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Le mystère Starewitch – Marion Poirson-Dechonne

Marion Poirson-Dechonne, Le mystère Starewitch : un imaginaire à la confluence de deux cultures. Préface de Léona Béatrice Martin-Starewitch, L’Harmattan, juillet 2023, 286 p., 29 €.

Référent au Mystère Picasso (1956) de Henri-Georges Clouzot, Le mystère Starewitch de Marion Poirson-Dechonne est un livre dont le titre attractif attise d’emblée la curiosité. Comme le cinéaste faisait entrer le spectateur dans le processus de création de l’artiste, l’auteure fait entrer de plain-pied le lecteur dans le monde des films d’animation et de marionnettes. Le sous-intitulé, : un imaginaire à la confluence de deux cultures, offre une clé du succès de Ladislas Starewitch : son appartenance à une culture à la fois européenne et slave engendra une œuvre toujours originale, inspirée et renouvelée. Pourtant, malgré une filmographie importante, le réalisateur est longtemps resté dans l’ombre. Il est vrai que le cinéma de marionnettes est un domaine plus fermé que le cinéma d’animation. Si Émile Cohl est l’inventeur du dessin animé et le pionnier de marionnettes animées, Ladislas Starewitch, le Méliès de l’animation des marionnettes (il a d’ailleurs racheté le studio de Méliès), est le second pionnier du cinéma de marionnettes. Qu’est-ce qui fait sa force et rend son œuvre toujours touchante et enchanteresse ?

Un cinéaste polonais, exilé de Russie et réfugié en France

Marion Poirson-Dechonne est docteur en arts et sciences de l’art et agrégée de lettres modernes. En plus de nombreux ouvrages sur le cinéma (dont Le cinéma est-il iconoclaste ?, (Le Cerf, 2011), elle écrit des romans historiques aux trames fouillées. Aussi, telle Maguelonne, l’héroïne médiévale du Parchemin maudit (Le) (Rouge Safran, 2012, elle enquête et dissèque les films d’un réalisateur inclassable pour révéler un génie bouillonnant d’idées. Starewitch (1882-1965) est cinéaste d’origine polonaise, né en Russie mais de nationalité polonaise et non Russe comme certains critiques l’affirment à tort. Il s’exila en France après la Révolution russe, s’investit et s’illustra dans un cinéma artisanal d’animation avec des marionnettes, des décors et des costumes, montant, mettant en scène, multipliant les trucages et filmant. Dès la première ligne de son introduction, l’auteure cite René Daumal (Aujourd’hui, mars 1934) critiquant Starewitch : « Chefs-d’œuvre de patience, les films de Starewitch ne répondirent pas toujours, dans leurs résultats, aux efforts dépensés par l’auteur », mais des grands noms du cinéma attestent son renom et son talent : Georges Charensol (Panorama du cinéma, 1930) : « La France abrite aussi quelques Russes indépendants comme (…) Ladislas Starewitch, spécialiste des poupées animées » ; Maurice Bardèche et Robert Brasillach (Histoire du cinéma, 1935) : « Parmi les émigrés du cinéma russe, Starewitch reste le plus grand. Ses œuvres minutieuses, ses ficelles invisibles, ses photographies image par image, ont créé un art autonome, et qu’il a été impossible d’imiter » ; Georges Sadoul (Les merveilles du cinéma, 1957) : « La prise de vue image par image ouvrait des perspectives immenses que nous n’avons pas encore fini de découvrir. Ces pionniers furent, avant 1914, l’Américain Windsor Mac Cay, l’Espagnol Segundo de Chaumon, le Russe Starewitch, le Français Émile Cohl » ; Jean Mitry (Histoire du cinéma, 1969) : « À côté de ces réalisateurs qui furent les plus importants du cinéma russe prérévolutionnaire, il convient de mentionner Ladislas Starewitch dont on sait qu’il favorisa les débuts de Mosjoukine après avoir accompli les chefs-d’œuvre que furent ses marionnettes animées ».

Un cinéma féerique et diabolique, animalier et monstrueux…

Le cinéma de Starewitch est d’une incroyable diversité de genres et de registres dont le mélange rend la classification difficile. Le réalisateur innove dans la féerie, en mêlant personnages mythologiques et contes. Dans L’horloge magique (1928), Yolande, telle Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, devient minuscule pour mieux s’enfuir. Le passage où elle est dans la main d’un homme monstrueux qui l’a capturée, inspirera la scène culte de King Kong (1933). Son éléphant volant dans Le lion devenu vieux (1932) annonce aussi Dumbo (1941) des studios Disney. Il excelle aussi dans la fantaisie, qui réunit le réalisme et le merveilleux conjugués à l’humour et à la dérision (le film Fétiche mascotte (1933) est les visions mystérieuses d’un enfant malade), la fantasy animalière (La cigale et la fourmi (1913), Le roman de Renart (1947) dont les animaux parlants se moquent des hommes et du sacré), la fable subversive (Le rat des villes et le rat des champs (1926), Fleur de fougère (1949), Les grenouilles qui demandent un roi (1922).). Le diable est souvent présent chez Starewitch (La nuit de Noel (1913), Cagliostro (1918), car hérité du contexte intellectuel russe des XIX° et XX°. La diabolisation se trouve d’abord avec la parole séductrice dont le goupil est le champion des mots trompeurs, et si le diable disparait des titres français, il apparaît ″bel et mal et même souvent accompagné de sorcières en couple d’enfer (L’épouvantail (1921), Petite parade (1930), Gueule de bois (1954), voire de démons et de monstres. Des jouets prennent vie (L’horloge magique (1918), La petite parade (1928), préfigurant le poétique Roi et l’oiseau (1980) de Paul Grimault et Jacques Prévert. En tant que cinéaste de Russie, Starewitch dévoile au surplus le monde slave, ses mythologies et bestiaires : Le Noël des insectes (1912) ou le Père Noël revisité ; Le carrousel boréal (1958) ou le changement des saisons sur fond amoureux d’ours brun et polaire ; La nuit avant Noël et Poucette avec la Baba Yaga ou la sorcière slave ; Dans les griffes de l’araignée (1920), La reine des papillons (1927), Les yeux du dragon (1925), avec l’araignée, la nuit et le monde des morts ; La petite chanteuse des rues (1924), Le roman de Renart et la série des Fétiche avec le chien, animal récurrent et assez drôle.

Une œuvre riche et immense à découvrir et redécouvrir

Starewitch est un précurseur du cinéma qui a inspiré de tous temps nombreux animateurs et cinéastes (Terry Gilliam, Tim Burton…), mais il a souffert de la censure (notamment sur la violence et l’érotisme émergés et stylisés), des contraintes d’une productrice qui a limité ses films à un jeune public, dénaturant sa vision adulte et poétique du cinéma d’animation. Depuis, avec des auteurs comme Michel Ocelot et Jean-François Laguionie, le cinéma d’animation a gagné ses lettres de noblesse et est entré dans la Cour des Grands. Si Starewitch est le fruit d’articles universitaires, les ouvrages faisant autorité sont de Léona Béatrice Martin Starewitch, sa petite-fille, et de son époux François Martin, qui ont d’ailleurs signé tous deux la sortie de deux ouvrages en juillet, toujours chez L’Harmattan : Ladislas Starewitch et Le Vingtième siècle de Ladislas Starewitch. Le mystère Starewitch de Marion Poirson-Dechonne est le premier ouvrage d’une chercheuse hors du cercle familial. Son livre est dense, cultivé (cf la bibliographie finale, conséquente) et docte, à la fois littéraire et cinématographique, mais aussi esthétique, anthropologique, historique et protohistorique (s’intéressant aux premiers temps du cinématographe et des pionniers). Instructif, captivant et complet, on ne peut qu’espérer qu’il ouvre la voie à d’autres chercheuses et chercheurs.

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