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Un fils face aux mensonges enfouis d’une mère aimée

Régis Jauffret, Maman, Récamier, 21/08/25, 256 pages, 21,90 €

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Avec Maman, Régis Jauffret engage son œuvre dans une exploration précaire des frontières de l’autofiction, dont le point de départ est un horoscope découpé dans un vieux journal. Cet oracle domestique, à la fois talisman et malédiction, cristallise dès les premières pages le vertige qui aimante tout le livre : comment se construire sur la foi d’une parole maternelle qui est peut-être la plus sublime des fabrications ? En déployant le récit de sa filiation, Régis Jauffret prolonge la quête de vérité entamée avec Papa (2020) pour s’attaquer ici au monolithe maternel. La figure de la mère, nommée Madeleine, Mado ou Madona selon les humeurs de la mémoire, devient l’épicentre d’une enquête où chaque souvenir est une pièce à conviction possible, et chaque aveu une porte dérobée vers une nouvelle fiction. L’écriture se fait alors chambre d’échos, où la litanie des dernières années en Ehpad, à Marseille, répond aux fantômes de l’Occupation et aux soleils écrasants des vacances à Morzine.

L’inventaire d’un héritage paradoxal

Maman s’inscrit dans le sillage de l’entreprise de l’auteur liée au questionnement de l’autobiographie. Là où les Microfictions (2022) inventoriaient avec une précision d’entomologiste les fragments de l’existence, et où Asiles de fous (2005 – Prix Femina) explorait la folie comme territoire littéraire, ce nouveau roman tresse ensemble ces obsessions pour les appliquer au mythe fondateur par excellence : la Mère. Moins un règlement de comptes qu’une méditation intranquille, le livre orchestre un dialogue posthume où l’humour noir polit les surfaces les plus douloureuses de l’agonie et du deuil. En convoquant son Dictionnaire amoureux de Flaubert (2023), on pourrait y voir la même discipline quasi monacale pour ausculter une âme, sauf qu’ici, le sujet d’étude est aussi la source du verbe. Ce livre raconte ainsi la construction fragile d’une mémoire posthume, une architecture verbale où la vérité et le mensonge sont des matériaux de même valeur.

La phrase comme scalpel et caresse

La puissance du texte réside dans sa faculté à manier une langue qui alterne la brutalité des constats et la tendresse élégiaque, faisant de l’ambivalence sa principale force. Cet humour noir, qui irrigue le texte, sert de bouclier contre le pathétique, comme lorsque la mère, secouée par un aide-soignant, lance : « Arrêtez de me secouer, je ne suis pas un prunier. » C’est le même mécanisme de survie qui pousse le narrateur, face au corps exposé de sa mère, à confesser l’impulsion absurde de faire « un selfie vidéo avec en fond le corps et le reste de la pièce fruste et vide. » Cette oscillation permanente est au cœur du projet, où le livre explore le deuil, la filiation, la maternité excessive, la vieillesse et l’Ehpad, la culpabilité, la mémoire et le mensonge, l’autobiographie et l’autofiction, le secret de famille, la religion (paradis/enfer), les rituels funéraires, l’ataraxie et la philosophie du mourir, la vérité alternative, Marseille et Morzine comme géographies affectives, le corps et la décrépitude, l’ADN et le destin (horoscope), l’imaginaire et l’hallucination, la justice intime et le pardon. Le narrateur, avouant lui-même sa tendance à la fabulation, devient le sismographe de ses propres réinventions, où la responsabilité du mensonge maternel semble parfois une construction nécessaire à sa propre survie narrative.

Le labyrinthe de la mémoire de la filiation

Au-delà du portrait, Maman propose une incursion dans un labyrinthe mémoriel où le narrateur est à la fois Thésée cherchant une issue et le Minotaure dévorant ses propres souvenirs. La mère y figure une Ariane paradoxale, qui tend un fil narratif (celui de l’horoscope) tout en étant elle-même au cœur de l’énigme. L’œuvre déplace ainsi la question morale de la faute maternelle vers un questionnement sur l’identité. Comment savoir qui l’on est lorsque la parole fondatrice est elle-même un palimpseste de vérités auto-attribuées et de mensonges réconfortants ? Régis Jauffret suggère que l’autofiction est précisément cette tentative de donner une forme habitable à une vérité insaisissable. La prétendue trahison originelle est moins un fait avéré qu’un prétexte narratif, le point de départ d’une méditation sur la nature même du souvenir, une responsabilité que le narrateur s’assigne pour légitimer son geste d’écrivain.

Maman magnifie la littérature de soi en l’amenant sur le terrain d’une quête métaphysique. Dépourvu d’épanchement narcissique, ce livre éclaire comment nos identités se tissent de paroles entendues, de secrets devinés et de légendes que nous choisissons de croire ou de réécrire. L’ouvrage de Régis Jauffret ritualise l’acte de mémoire pour en faire un geste de création pure, où le fils, en réinventant la mère, se donne finalement naissance à lui-même. Une contribution essentielle à la réflexion contemporaine sur ce qui nous fonde : la dette, l’amour et la fiction que nous nous racontons pour continuer à vivre.

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Certains mensonges sont si brillants qu’on choisit d’y croire.

Olivier Cariguel retrace ici l’une des manipulations les plus stupéfiantes du XXᵉ siècle : la création d’un fakir imaginaire devenu vedette parisienne. Son enquête, incisive et implacable, révèle la mécanique d’une imposture montée avec une audace déconcertante. Chaque révélation expose la facilité avec laquelle une société peut être séduite, dupée et entraînée dans un récit qui dépasse la raison. Rarement la manipulation aura été décrite avec autant de précision et de force.


Une lecture qui rappelle que la vérité perd toujours contre le désir d’illusion.

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