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Ballades en argot homosexuel – François Villon

Il y a peu, en lisant « Paris, mille vies » de Laurent Gaudé, un passage situé dans le quartier latin m’a interpellé. Dans sa danse macabre qui ressuscite de Paris quelques-uns de ses habitants et épisodes historiques, le narrateur imagine François Villon, étudiant, amoureux ou seulement joueur, enlaçant langoureusement une jeune femme. Tiens, il me semblait qu’il était homosexuel ! Peu importe, il pouvait tout aussi bien être hétéro ou bi, ou tout autre chose. Ce petit livre publié aux indispensables « Éditions Mille et une nuits » disperse tout doute : « Les légendes ancienne et moderne ne s’accordent que pour transformer Villon en coureur de jupons ; or, il était homosexuel : il l’avoue lui-même dans des vers cryptés dont on a surtout vu jusqu’ici le sens apparent, destiné à écarter les non-initiés ». Se demander s’il est vraiment important de définir si, oui ou non, le poète était gay revient à se demander si la vérité est importante.
Il nous reste de la vie de François Villon une image subversive, celle d’un étudiant bohème, qui n’est pas sans faire songer à Rimbaud quatre siècles plus tard. Le médiéviste Thierry Martin, avec d’autres, rectifie les idées préconçues – et fausses – qui se sont rapidement établies autour de lui. Il explique que les universitaires du XXe siècle « ont comblé les lacunes de la biographie en forgeant la légende d’un malchanceux injustement persécuté par tout le monde. Il s’agissait pour eux de contredire une autre légende, née tout de suite après la mort de Villon : celle d’un écolier farceur et pétomane ». La langue du XVe siècle nous est difficilement accessible ; si à un problème de traduction s’ajoute la difficulté d’un texte crypté, alors le lecteur contemporain ne peut que remercier, et apprécier, la traduction juste et très abondamment commentée de Thierry Martin. Elle permet d’accéder au sens, tout en goûtant la grossièreté courtoise, la farce et la poésie mêlée de ces ballades. Et les plus patients disposeront d’outils pour apprécier le texte dans sa version originale, telle que transmis par le Manuscrit de Stockholm.
En lisant ces ballades (dans leur traduction, en ce qui me concerne), il est difficile de ne pas penser à Jean Genet. On peut se demander à quel moment le langage argotique, le langage cru, devient littérature. Probablement quand, sous l’égide du talent, cet assemblage de mots commun au lieu de masquer révèle et charrie avec lui une époque, un univers, une ambiance. Tout un monde surgi entre les vers de ces ballades. Bien sûr, le foutre coule ; sodomistes (sic) et sodomisés s’enrichissent d’une variété d’expressions fleuries. C’est le printemps, tout pousse ! D’ais scieur (scieur de planches), le coquin (actif), farcit volontiers l’oignon de l’oyseleur (prostitué passif). On voit qu’au lexique obscur, d’autres mots sont venus jusqu’à nous.

Saupicqués frouans des gours arques
Pour desbouser beaussire-dieux,
Allez ailleurs planter voz marques !
Bevards, vous estes rouges gueux […]
(Tamponneurs qui cognez de gros culs
Pour avoir vidé les priapes :
Allez ailleurs planter votre poinçon !
Fellateurs, vous êtes de faux passifs)

Pourtant, Thierry Martin prévient les puristes, « l’argot de Villon n’est pas tout à fait l’argot des coquillards : c’est le brief langaige, dont usaient les prostitués pour tromper la police et les clients. […] Malgré de nombreux emprunts, cet argot ne doit pas non plus être confondu avec le jobelin, jargon homosexuel né en Picardie à la fin du XIIIe siècle ». C’est un langage à part, singulier, dont on se délecte encore et dont on s’étonne (à tort) de la proximité des images qu’il porte avec l’érotisme gay actuel.
Chaque génération à sa langue, chaque époque sa manière de transgresser, de dissimuler ou de s’afficher. À coup sûr, ces ballades argotiques, pornographiques ou humoristiques de François Villon, trouveront une place évidente dans les bibliothèques des plus curieux.

Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm

Villon, François, « Ballades en argot homosexuel », Mille et une nuits, « La petite collection, n° 188 », 17/02/2021, 1 vol. (134 p.), 4,00€

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