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Alexis Jenni, Nous : et autres chroniques, Gallimard, 12/10/2023, 1 vol. (195 p.), 19€.

Quand il accepta en 2019 de reprendre la chronique hebdomadaire que le quotidien La Croix confie tous les mardis à un écrivain, l’auteur Alexis Jenni, goncourisé en 2011 pour L’art français de la guerre, n’en devint pas pour autant journaliste. La mission qu’il se donna alors était bien de faire œuvre de littérature, de dire le monde tel qu’il était en ces temps, sans jugement, sans pathos, mais avec la plume acérée de l’écrivain qui voit au-delà des apparences et des jugements à l’emporte-pièce que chérit notre époque. Durant trois ans, il peignit ainsi tous les mardis, à petites touches, la fresque d’un temps, le nôtre, fresque aujourd’hui présentée sous la forme d’une compilation de chroniques par son éditeur Gallimard et sous le titre Nous et autres chroniques.

Bien entendu, Alexis Jenni, débutant ses chroniques le 4 octobre 2019 par une présentation tout en timidité dans laquelle il évoquait son grand-père centenaire, “sans doute plus vieux lecteur de La Croix”, savait que l’encore début de XXIe siècle qu’il aurait à raconter serait celui du réchauffement climatique, des GAFA, de Trump, de Poutine, des réseaux sociaux ou des fondamentalistes religieux. Et, sans surprise, ces plus ou moins grands de ce monde, ces épiphénomènes ou ces grandes tendances destinées à s’ancrer durablement, font partie de la soixantaine de textes ici compilés. Il ignorait par contre qu’une pandémie mondiale viendrait frapper la Terre comme une comète que personne n’aurait vu venir et les premières chroniques du livre sont forcément impactées par cet évènement aussi imprévisible que bouleversant. A lire à rebours les textes Le printemps n’est pas annulé, Le monde sans contact ou Y a-t-il un cluster à la cave ? on sourit presque aux évocations de ce que furent ces mois, notamment de confinement, de l’hystérie autour des masques, du gel hydroalcoolique ou des absurdes attestations et l’on sourit d’autant plus que l’humour n’est jamais absent des écrits d’Alexis Jenni qui sait mieux que quiconque faire sourire avec nos traits les plus vils ou les plus ridicules.
Certes il y a moins matière à sourire quand la plume de l’auteur est emportée par la violence du Monde, quand il ne peut faire autrement que d’évoquer massacres, guerres, attentats, qui, malheureusement, jalonnent parfois notre quotidien jusqu’à la nausée. Un texte particulièrement émouvant est celui intitulé Je suis atteint et dans lequel l’auteur, lui-même ex-enseignant, évoque l’horrible assassinat de Samuel Paty à peine quelques jours après qu’il soit survenu. Passée la première émotion dont il reconnaît qu’elle l’a submergé, Alexis Jenni s’avoue incapable de proposer quelque solution que ce soit aux tentations d’amalgame, de communautarisme, de racisme mais il esquisse cependant la seule voie qui vaille la peine d’être suivie, au travers du dialogue et de la transmission d’un savoir débarrassé du joug des idéologies et pensées mortifères. Il reprend d’ailleurs ce thème dans le texte Nous qui donne son titre au recueil et parle de la quête de définition de l’identité française, qui tant occupe l’espace politico-médiatique hexagonal, à grands renforts souvent de raccourcis et autres énormités, tous dictés par de sombres pensées électoralistes. Lui ne cesse et ne cessera sans doute de clamer au sujet de l’identité française “Il n’est sans doute d’autre identité nationale que de souhaiter être ensemble, et de s’efforcer d’y parvenir.

Nous et autres chroniques s’achève alors que les premières bombes tombent sur l’Ukraine dans un continuum de violence et de mort que rien ne semble devoir enrayer. L’auteur rend, de bonne grâce, son tablier de chroniqueur, sans doute un peu lassé d’avoir eu à nous dire tant de laideur et de larmes. Nous lui sommes infiniment reconnaissants d’avoir su les mêler aux petites joies qu’accorde la vie, aux petits bonheurs simples du quotidien procurés par un animal de compagnie, un jardin, l’observation du passage des saisons. En nous disant, pour conclure “Au revoir à tous, j’ai beaucoup aimé d’ainsi vous parler.” Alexis Jenni s’en retourne sans doute au fond d’un bar bruyant, s’asseoir seul à une table discrète pour poursuivre son œuvre de romancier.

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Chroniqueur : Alain Llense

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