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Arielle Meyer MacLeod, Vues d’intérieur après destruction, Arléa, 01/02/2024, 1 vol. (94 p.), 17€.

Docteure en lettres et dramaturge, Arielle Meyer MacLeod nous offre avec Vues d’intérieur après destruction une plongée dans l’intime, portée par une écriture ciselée. À travers le récit à la première personne d’une narratrice anonyme, l’autrice nous entraîne sur les pas fugitifs de la mémoire, à la recherche de ces horizons secrets que sont les maisons qui bercent l’enfance.

La quête intuitive d'un horizon perdu

Lorsque Gabriel, sculpteur d’origine libanaise et ami proche de la narratrice, meurt après avoir enduré avec une dignité stoïque les affres de la maladie, celle-ci est saisie par une impulsion énigmatique. Sans prévenir ses proches et mue par une urgence informulée, elle prend un billet à destination de Beyrouth, la ville natale de Gabriel, mais où lui-même n’a jamais remis les pieds depuis son exil en France.
Débarquant dans une cité dont les stigmates de la guerre civile côtoient une troublante splendeur esthétique, elle se lance à la recherche de la maison où Gabriel a grandi. De cette bâtisse, elle ne connaît que les descriptions nostalgiques de son ami qui en avait fait l’emblème persistant de son enfance. Gabriel avait tissé autour la trame d’un récit fantasmé, comme pour mieux conjurer l’absence et l’oubli depuis son déracinement.
Guidée par son chauffeur de taxi Nassim dans les méandres de la montagne libanaise, la narratrice finit par atteindre le village de Bhamdoun, et retrouve enfin ce qui reste de la fameuse demeure. Là, face à une ruine méconnaissable dont il ne subsiste que le squelette dépecé, elle prend la mesure de la vanité de sa quête. La maison rêvée de Gabriel n’était qu’une fiction embellie pour voiler le gouffre béant de la perte.
Désormais le décor est planté pour ce récit poignant sur les vestiges du passé et la persistance des fantômes, où l’intime infuse de sa lumière crépusculaire l’universel.

Des récits fugitifs pour conjurer l'absence

L’exil innerve en filigrane les trajets de vie des personnages, qu’il s’agisse de la narratrice, de Gabriel ou du père de celle-ci, disparu alors qu’elle n’avait que 24 ans. Tous trois portent l’empreinte indélébile du déracinement, qui les place en équilibre instable aux marges de multiples territoires – géographiques, intimes, culturels.
Face à la menace de l’effondrement que fait peser l’errance, chacun à leur manière, ils se sont attachés à des ancrages imaginaires. À défaut de pouvoir habiter pleinement le monde, ils se sont inventé des demeures intérieures, tissant à l’envi des récits nostalgiques peuplés de maisons idéales. Le père, dans la lettre à ses enfants qu’il rédige en 1968, esquisse déjà les contours d’une fiction douce pour endiguer l’inquiétude. Quant à Gabriel, il n’a de cesse de recomposer la maison du Liban avec force détails, comme pour mieux en conjurer la perte.
À travers ces fables fragiles que chacun habite comme un refuge mental au sein de l’adversité, c’est tout un travail de mémoire compulsive qui se joue. Un travail de Pénélope qui, à l’inverse de celle défaisant chaque nuit la trame tissée le jour, tisse inlassablement un cocon de mots pour maintenir présent ce qui n’est plus.

Les réminiscences fragiles de la mémoire

Tout au long du récit, on sent que quelque chose couve sous la surface, un mystère qui menace à tout instant de faire irruption. L’autrice distille avec subtilité des indices, des bribes de vérité éparses, qui éveillent notre curiosité et notre trouble quant à ce qui se trame dans l’ombre.
Lorsque la narratrice retrouve la lettre que son père lui avait adressée des années auparavant, le lecteur pressent qu’un secret enfoui est sur le point d’être exhumé. De même, quand elle parvient dans le village de Bhamdoun et découvre les ruines de la maison de Gabriel, on devine qu’un pan occulté du passé de ce dernier va être mis au jour.
Jouant constamment sur les non-dits et les révélations obliques, Arielle Meyer MacLeod réussit à créer et maintenir un suspense discret mais saisissant. On avance dans sa lecture comme on progresserait dans un rêve angoissant, guettant le moment où les fantômes du passé ressurgiront dans la lumière crue du présent.

Un drame poignant

En filigrane de ce texte intimiste affleure en permanence la fragilité de nos vies ballottées au gré des soubresauts de l’Histoire. Arielle Meyer MacLeod évoque avec pudeur mais sans faux-semblants les fêlures de nos mémoires individuelles et collectives.
Pourtant, elle n’élude pas les zones d’ombre et sait mettre des mots justes et poignants sur les drames. Elle le fait notamment à travers une phrase où, avec force et justesse, elle fait discrètement signe vers l’explosion survenue au port de Beyrouth en 2020, ce drame si terrifiant, que les êtres les plus sensibles n’ont pu verser les premières larmes que plusieurs mois après.  

C’est toute la délicate alchimie d’Arielle Meyer MacLeod qui transpire ici. À partir des matériaux les plus sombres, elle réussit à faire renaître des lueurs d’espoir et de beauté. En refermant ce livre, on est habité par la force de vie qui persiste envers et contre tout, aussi bien que par l’ombre tenace du passé.

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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