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Berceau de notre civilisation, la Grèce et Athènes fascinent. Sonia Darthou éclaire l’histoire de la cité à la lumière du mythe. Loin de dissocier le récit mythique et le récit historique, la chercheuse démontre la circulation et la vivacité du mythe dans la culture athénienne.
C’est une histoire que tous les collégiens connaissent. Tout commença par une querelle (éris) entre Poséidon “ébranleur du sol” et Athéna “aux yeux pers”. L’ombrageux dieu des océans, d’un coup de trident, fit envahir l’acropole de toute la force de la mer. Plus subtile et plus sage, Athéna fit pousser du sol rocailleux de l’acropole, un seul arbre, l’olivier domestiqué. Les hommes, ou les dieux, attribuèrent la cité à la déesse qui gagna le titre de Poliade. Elle offrait du même coup un ancrage terrestre à sa ville. Pour la plupart d’entre nous, le récit s’arrête à cette dichotomie : la défaite de Poséidon et Athéna donnant son nom à la cité.
“Athènes, Histoire d’une cité entre mythe et politique” n’est pourtant pas un livre sur la mythologie grecque. Il ne s’agit pas davantage d’un livre déroulant l’histoire de l’antique Athènes. À l’aide de sources archéologiques, historiographiques et littéraires, Sonia Darthou étudie avec rigueur et pédagogie la prégnance du mythe dans la vie quotidienne des Athéniens. Or ce mythe fondateur jouait un rôle politique dans les représentations qu’ils se faisaient de leur cité, d’eux-mêmes et des autres. S’appuyant sur une iconographie féconde qui illustre avec intérêt les pages de ce livre, l’auteure nous explique que “l’éris” est au fondement même de la culture athénienne. Comme la divinité du même nom, Éris, elle a deux visages : le conflit ou l’émulation. Ici, le face-à-face fondateur ne divise pas ; il structure, il hiérarchise. Athéna est désignée vainqueur de cette rivalité sans que Poséidon en sorte perdant : son don (la source d’eau) était abrité dans le temple de l’Érechthéion, sur l’acropole, à côté du Parthénon, non pas à égalité mais sans conflit, dans un partage des domaines : la terre et la mer.
Il faut dire que, à partir du Ve siècle avant notre ère, après la victoire de la bataille navale de Salamine contre les barbares perses, puis avec la fondation de la ligue de Délos, Athènes a étendu un véritable empire maritime. Il devenait alors intéressant pour ses hommes politiques et ses citoyens, de réinvestir l’imaginaire collectif de la mer dans l’affirmation d’une politique impérialiste. Le mythe de Thésée réapparaît opportunément dans les discours, politiques ou littéraires, ou dans les peintures qui sont parvenues jusqu’à nous. Ce fils d’Égée devient ainsi le fils du dieu des mers dans une double ascendance mortelle et divine : la première lui conférant une autorité politique ; la seconde, affirmant d’un point de vue symbolique, mythique, la domination navale des Athéniens et leur ancrage maritime. La rivalité initiale se résout par une collaboration divine, dans un va-et-vient entre récit mythique et réalité historique.
Le mythe n’était donc pas uniquement un fait cultuel ; il était également culturel et se déployait de manière concrète. Réinvesti, redéfini, il était utilisé aussi bien au théâtre que dans les discours politiques des orateurs, à l’assemblé du peuple (Ecclésia) ou dans les instances juridiques (l’Héliée). “Les mythes ont une place majeure dans la définition des identités collectives et politiques ; […] ils jouent un rôle central dans la représentation que les cités et les citoyens se font d’eux-mêmes.”, peut-on lire page 43. On se demande d’ailleurs dans quelle mesure on pourrait parler, sans faire d’anachronisme, de véritable propagande mytho-graphique (à l’aide de la gravure ou de la peinture) ou mytho-logique (à l’aide du discours). Les décrets, par exemple, selon leur importance, gravés sur des stèles dans la cité ou à ses frontières, pouvaient être précédés d’un en-tête représentant Athéna, comme une doublure de la décision politique elle-même. À la fois image symbolique et caution protectrice. “Ces en-têtes de décrets affichent cette tension permanente entre individuel et collectif, entre l’expérience concrète de la démocratie et un certain idéal politique qui s’exprime par la déesse Poliade.” (p. 76.)
Après une captivante première partie consacrée à Athéna et ses attributs (la chouette et l’olivier), et la manière dont son mythe participait à la construction politique de la cité, Sonia Darthou consacre une seconde partie à l’identité citoyenne, qui s’est construite là encore sur le mythe, notamment celui de l’autochtonie ou de “l’eugeneia” (littéralement la “belle naissance “). En effet, le premier Athénien serait né du sol même d’Athènes (“autos, soi-même ; “chthon”, la terre). C’est le mythe de la naissance d’Érechthée, né du viol inabouti d’Athéna par Héphaïstos : la semence du dieu des forges tombée au sol féconda la terre d’où naquit un enfant, protégé par la déesse. Contrairement aux autres cités, “ceux d’Athéna” (puisque c’est ainsi que s’appelaient les Athéniens) s’enorgueillissaient d’avoir toujours occupé leur territoire, de n’avoir chassé aucun autre peuple avant eux, renforçant de la sorte la légitimité de leur implantation face aux menaces extérieures, notamment durant les guerres médiques. Cet ancrage territorial immémorial légitimait encore un régime politique nouveau, la démocratie, dans la mesure où les citoyens partageaient une ascendance commune. Paradoxalement, cet idéal de pureté du corps politique s’est construit sur l’exclusion de l’autre, l’étranger au territoire. La chercheuse écrit justement : “D’un côté, la cité affiche une volonté d’égalité dans son régime démocratique en pleine maturité […]. De l’autre, elle affirme par son ascendance mythique des valeurs aristocratiques qui permettent d’opérer une distinction exclusive entre les Athéniens et les autres Grecs.” (p. 144.)
Comprendre le fonctionnement de la démocratie athénienne, c’est plonger au cœur de nos racines politiques, philosophiques, culturelles. Illustrant la vivacité de la symbolique, ce livre souligne son utilisation politique, et ses conséquences collectives sur la vie publique. On comprend alors que les mythes d’origine et de fondation revêtent un aspect politique et patriotique qui s’inscrit dans une identité partagée par un corps de citoyens. Un livre passionnant, qui se lit avec autant d’avidité que, lorsque collégien, on découvre la mythologie grecque !

Marc Decoudun
contact@marenostrum.pm

Darthou, Sonia, “Athènes : histoire d’une cité entre mythe et politique”, Passés composés, 16/09/2020, 1 vol. (286 p.), 22,00€.

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