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Cet ouvrage extrêmement érudit de Mathias Dreyfuss, publié aux éditions du CNRS, pose la question du judaïsme et de ses sources historiques dans le contexte français. Son livre se place dans la mouvance du « tournant archivistique » des années 1990, une expression qui recouvre un ensemble de recherches et de problématiques récentes qui s’attachent à porter un regard neuf sur les archives, considérées comme des objets d’étude dont il convient d’interroger l’historicité propre. Ce courant, bien que dans la lignée des travaux universitaires qui, de Foucault à Ricoeur, ont questionné le concept d’archive, s’avère toutefois novateur, car, comme le souligne Mathias Dreyfuss, il s’attache à « répartir des documents saisis dans leur matérialité et leur intertextualité archivistique pour décrypter les ressorts intellectuels, politiques et idéologiques sous-jacents aux modes de classement et d’organisation du patrimoine écrit ».
Ces nouvelles approches permettent à l’auteur du livre, destiné en priorité à un public d’historiens, de renouveler les perspectives historiques concernant l’absence des Juifs, exclus d’abord de la mémoire du royaume, puis de celle de la nation. En se focalisant sur les méthodes de classement et de sélection des archives au cours des siècles, l’ouvrage permet de comprendre la dimension éclatée de celles qui concernaient les Juifs, et la difficulté à constituer un corpus complet et cohérent. Il montre aussi comment la Révolution française qui a pratiqué à la fois une destruction et un tri des livres et des documents, en instaurant des Archives nationales, et institué un cadre légal pour la présence juive en France, en accordant la citoyenneté aux Juifs, a opéré une rupture avec les siècles précédents. Mathias Dreyfuss analyse la question de la construction des sources en pointant la difficulté des historiens qui se sont succédé, au cours du XIXe siècle, et se sont confrontés à une mosaïque de documents disséminés dans de multiples fonds d’archives. Il s’agissait, pour l’historien contemporain, attentif à la réussite de son projet, « de faire passer les archives du statut de source à celui de sujet », et de « repenser les conditions de possibilité de l’histoire d’une minorité religieuse, en l’espèce la minorité juive, au sein de l’histoire nationale. »
La dimension poïétique et réflexive de son travail rend ce livre d’autant plus stimulant qu’il nous invite à réfléchir sur la manière dont on fait l’histoire, et nous confronte aux difficultés des historiens. Le livre s’attache autant à étudier et à problématiser les sources archivistiques, que les travaux de ses prédécesseurs au cours des siècles. Les polémiques et les débats autour de la citoyenneté des Juifs au moment de la Révolution, en particulier les concours de Metz, ainsi que l’essor de la recherche historique française de la première moitié du XIXe siècle, constituent le socle privilégié sur lequel s’ancre cette étude. L’auteur de celle-ci montre également comment l’attrait pour l’archéologie et le désir de mettre l’accent sur les racines chrétiennes de la France ont aussi favorisé une émergence des inscriptions hébraïques, suscitant un intérêt intellectuel, qui allait de pair avec une difficulté à les intégrer au patrimoine des antiquités nationales. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’on a commencé à concevoir l’histoire des Juifs non plus de façon marginale, mais intégrée à l’histoire de la nation marginale, grâce aux travaux d’une minorité d’historiens.
Extrêmement précis et documenté, « Aux sources juives de l’histoire de France » explore de façon détaillée ce passage de la marginalisation à l’inclusion progressive. Il peut se lire en écho des actes du colloque dirigé par Paul Salmona et Claire Soussen, « Les Juifs, une tache aveugle dans le récit national« . De manière approfondie, détaillée, nuancée, ces deux ouvrages explorent la construction de l’histoire de France en pointant ses lacunes et ses insuffisances, mais ouvrent aussi des perspectives aux nouvelles générations d’historiens.

Marion POIRSON-DECHONNE
articles@marenostrum.pm

Dreyfuss, Mathias, « Aux sources juives de l’histoire de France », préface Yann Potin, CNRS Editions, 07/01/2021, 1 vol. (414 p.), 26,00€

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