Bernard Revel, L’enfant de la Matrie, Balzac Editeur, 12 juillet 2024, 200 pages, 20,00 €.
Bien des choses ont été dites, des livres publiés sur le temps de l’enfance. Sur ce lointain passé où les images se mélangent, se recouvrent, des voix résonnent encore, des silhouettes passent, vite évanouies.
C’était l’enfance. On peut toujours essayer de la faire taire, elle ne cesse de parler en nous. Enchantée, ou encombrante, l’enfance sert de référent, de point d’appui. Elle est la clé, souvent égarée, pour accéder à l’essentiel. Le sésame pour le jeune adolescent qui pressent de façon mystérieuse, ce que sera son futur.
Telle est la clé de voûte et la raison d’être de l’ouvrage de Bernard Revel, L’enfant de la Matrie dont l’intérêt chronologique du récit n’a d’égal que sa qualité littéraire.
Dès l’entrée en matière, l’auteur expert en portraits comme en chroniques ciselées qu’il brosse depuis quinze ans dans La Semaine du Roussillon, et auparavant dans l’Indépendant, a le verbe aguicheur.
Je vivais dans la lune entre Corbières et Canigou. Nous étions une famille toute neuve. Elle avait laissé son histoire et ses morts en Espagne et en Italie. Chez nous, c’était ici ce lieu sans ancêtres, sans poilus de Quatorze, sans terre ni maison en héritage. Et moi au milieu, tout petit, j’étais enveloppé de jeunesse…
Là, dans cette ferme de vacances nommée Matrie, en référence au terroir natal, l’auteur et biographe observe et s’interroge autour de ceux qui gravitent à ses côtés. Soucieux de connaître ce que furent leurs vies avant lui.
Entre Valencia et Piémont
Alors, à tour de rôle, quelques-uns, acceptent de se raconter. A commencer par le Papet, à la voix de ténor enroué et au look de vieux rocker de quatre-vingt-un ans, dont la mémoire alerte va fasciner l’enfant. Fut-elle située à quelques kilomètres de la huerta fertile de Valencia, la vie dans ces confins montagneux – à l’orée du vingtième siècle – était loin d’être une sinécure et le destin du petit Gregorio, c’était le prénom du grand-père, s’en trouva vite cadenassé.
Celui-ci a treize ans, lorsque acculé par la misère il part rejoindre son père ouvrier agricole dans le Narbonnais. Vers une France prometteuse de jours meilleurs qui n’aura rien pourtant d’un Eldorado. En témoigne le propos que son premier patron lui adressera en guise d’accueil : “Demain, au travail ! C’est comme ça et pas autrement. Si tu n’es pas content, tu retournes chez toi !”
Ces mots qui resteront gravés dans sa mémoire, le Papet saura toutefois les surmonter en claquant la porte du propriétaire comme il le fera auprès de bien d’autres, troquant ces désillusions pour l’amour d’une jolie Andalouse qui lui donnera trois enfants.
La lignée espagnole évoquée par le récit du grand-père, l’adolescent s’attachera ensuite à écouter son pendant italien. Celle que sa mère, sa tante et ses cousines s’efforceront de lui relater au fil d’anecdotes savoureuses. Parce que la personnalité de Serafino, le Piémontais, n’a rien à envier au précédent Papet.
Irascible et porté sur la bouteille, Serafino multiplie les emplois et s’inquiète des prémisses d’une Italie fasciste qui le font s’exiler en Suisse puis en France d’où il persuadera non sans mal sa fratrie de le rejoindre.
Il vient d’être embauché comme ouvrier agricole dans un village près de Toulouse. Il s’entend bien avec son patron, d’origine italienne, qui a tellement confiance en lui pour le nommer maître valet. C’est-à-dire que les autres ouvriers sont maintenant sous ses ordres. Vous pouvez être fiers de votre papa, les enfants…
"Les poserai-je alors, ces foutues questions ?"
Ainsi donc, d’Espagne ou d’Italie, via leurs diverses installations en terre Occitane, des pans de vie familiaux vont s’élaborer et s’entrecroiser, issus de souvenirs glanés par l’auteur.
Une saga de vécus, sur fond de réalité joliment romancée qui, au gré des péripéties de la grande Histoire, nous livre les drames et les joies des petites histoires.
Des fanfaronnades de Mussolini aux affres de la guerre civile espagnole avec l’horreur des camps d’Argelès en passant par la déroute de l’armée française des années quarante, les malheurs du milieu du XX° siècle côtoient les bonheurs et les peines de Lidia, Bébelle, Eden, Nello et autres Claire projetés sur le théâtre d’un quotidien des plus fortuits.
Du moins ce que l’auteur est parvenu à compiler en insérant chaque protagoniste dans une fiction au plus près de l’authenticité. Car descendant de chacun d’eux, L’enfant de la Matrie n’est pas dupe. Bien des choses demeurent dans l’ombre, comme il le souligne joliment dans l’avant-dernier chapitre.
Si les morts parlaient, ça m’arrangerait. J’ai plein de questions à leur poser. Enfin, c’est ce que je me dis parfois quand les souvenirs, les miens et ceux que j’ai recueillis, se cognent contre le silence. Mais s’ils avaient, de leur néant, la possibilité de me répondre, les poserai-je enfin ces foutues questions qui n’ont jamais pu sortir de ma bouche quand ils vivaient ? J’en doute. Et si je les posais, tels que je les connais, ils seraient bien capables de me dire : ce ne sont pas tes oignons.
Telle est, posée avec autant d’acuité que de sincérité, la thématique de cette remarquable biographie romancée intitulée La genèse.
Ce livre de la naissance dans la traduction judéo-chrétienne, ou du désir de mise à jour pour Bernard Revel, dont on n’a qu’une hâte, celle de suivre le reste des rebondissements dans un second tome d’ores et déjà programmé…
Chroniqueur : Michel Bolasell
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