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Léo Lebrun, La bagarre !, Les éditions du Panseur, 7 mars 2024, 280 pages, 19,00 €

Un titre percutant souligné d’un point d’exclamation bien inhabituel dans cet emploi… Et sur une couverture d’un blanc de kimono, une succession de mots et de phrases nous laisse entrevoir les thématiques du livre. Elle nous fait découvrir les Éditions du Panseur. Est panseur celui qui, à défaut de guérir, pose les pansements et donc accompagne en soignant vers la guérison. Mais par un petit tour d’homophonie, il devient penseur, celui qui approfondit sa réflexion sur des sujets intimes ou généraux, et aussi désigne, par la magie d’une majuscule, dans les jardins de la maison d’Auguste Rodin, un chef-d’œuvre de bronze à patine, à la fois saisissante restitution d’une masse de virilité et de muscles et représentation allégorique d’un acte intellectuel. Décidément, l’auteur a bien joué en confiant son manuscrit à cette jeune maison d’édition indépendante qui, depuis 2019, « met toute son énergie à porter des voix singulières ». Il y a de la virilité dans son texte, mais aussi des blessures vives et des envies de réparer.

Dans la famille Lebrun, on demande le fils. Léo, la trentaine bien entamée au moment de l’écriture. L’adolescence a mis fin à ses désirs de compétition et stoppé à la ceinture marron sa progression de judoka. Ses études ont fait de lui un Conseiller d’éducation populaire et de jeunesse et un animateur socioculturel. Il est le narrateur à la première personne de ce récit qui bouscule sans ménagement les codes de l’autobiographie.

Après vingt ans d’interruption, il veut obtenir sa ceinture noire et l’idée d’écrire un livre sur le judo le taraude. Covid, confinements successifs et état de ses genoux vont l’entraîner à se libérer d’un récit qui va bien au-delà de ses intentions premières. Car s’il y aborde un grand pan de l’histoire familiale – et toutes les informations sportives livrées sont vérifiables sur internet -, le texte se veut aussi réflexion sur le sport, la littérature, les exigences de l’écriture, les relations fraternelles. Léo se balade dans un présent qu’occupent aussi Camille, sa jeune épouse, et leur fils prénommé Ernest (en hommage à Hemingway). Et son besoin d’écriture peut être une menace pour l’équilibre familial. Il y a Lalou aussi, la jolie petite sœur si douée que les questions sur son avenir sportif la tourmentent et qu’il voudrait aider de son expérience d’aîné, Fantin le cadet « beau comme son âge », Émilie leur mère et donc sa belle-mère qui, par sa présence intelligente, sut par le sport et avec bienveillance fédérer la fratrie. Dans le passé plane l’ombre aimée de Frédéric Lebrun, 192 cm, 115 kg, un père massif et juste qui ne fut pas sans failles mais sut, dans une recomposition familiale, donner à son fils du temps, de l’affection et inculquer des valeurs qui, pour être celles du judo, sont aussi universelles : « Courage, amitié, respect, politesse, contrôle de soi, sincérité, honneur et modestie. » Redoutable sans doute, redouté, quelques anecdotes le confirment, il n’était pas que ça. « Il y avait des poèmes dans des cahiers, des toiles qui sèchent dans le salon, des K7 sur la table en acier et des tasses de café dans l’évier (…) Il a écrit un livre, plusieurs même… Dans un des cartons d’archives qui prenaient l’eau dans le garage, j’ai trouvé des centaines de feuilles tapées à la machine et des cahiers manuscrits semblables à celui que je tiens devant moi. »

Dans ses lignes, il s’imaginait même invité avec Charles Bukowski à une émission d’Apostrophes. Frédéric Lebrun est parti brutalement en 2004. Un AVC a interrompu ses projets. Léo avait tout juste dix-huit ans et Lalou n’a plus de souvenirs. Beaucoup aujourd’hui encore peuvent parler du sportif dont le gymnase de Draguignan porte le nom. Mais seul l’aîné de ses enfants peut témoigner du père qu’il fut aussi en dehors des tatamis et des compétitions. Léo Lebrun le fait avec une immense tendresse pour tous les siens dans un style très personnel, vif, souvent drôle, libéré des contraintes, fourmillant de détails, mais riche de réflexions et de références littéraires. Son livre, qui pourrait tout aussi bien s’intituler Au nom du père, est un très bel hommage filial.

Peut-être Frédéric Lebrun pourrait-il se reconnaître dans les mots de l’écrivain Alain Cadéo qui vient de nous quitter : « Sache qu’en dépit de tout, j’ai vécu, j’ai transmis, j’ai connu, j’ai croisé, j’ai aimé, engendré. Tout est beaucoup plus tragique que je ne pouvais l’imaginer, tout est beaucoup plus rude que je ne pouvais le concevoir, tout est beaucoup plus beau que je ne pourrai jamais l’écrire. »

Je ne vais pas avoir le temps. Mais toi, tu laisseras cette trace pour moi !

Image de Chroniqueuse : Christiane Sistac

Chroniqueuse : Christiane Sistac

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