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Les habitués comme les voyageurs occasionnels de la ligne 6 connaissent cette sensation de libération lorsque, sortant de cette fourmilière besogneuse et souterraine du métro parisien, tout à coup, le wagon fait surface, aérien, le ciel au-dessus de lui. Le regard de ceux qui rejoignent leur bureau, vague ou rêveur, un rien blasé, se perd sur les façades, tandis que les touristes dévorent avec avidité un paysage qu’ils se montrent du doigt. Côté occidental de la ligne, entre les stations Bir-Hakeim et Sèvres-Lecourbe, des yeux toujours candides, cherchent la Tour Eiffel, admirent les façades des immeubles haussmanniens. À l’Est, en remontant vers la rive droite entre la Place d’Italie et Bel-Air, c’est un Paris plus moderne qui reflète sur ses façades de verres le bleu du ciel que les immeubles viennent gratter. Des œuvres sur les murs de la ville se livrent alors, passives, à l’appréciation des passagers ou du piéton qui lève la tête vers le ciel.

Traverser Paris d’ouest en est revient à passer d’une ville muséifiée, éternellement figée dans la beauté d’une époque révolue (ce que d’aucuns osent parfois lui reprocher), à une ville à l’architecture plus audacieuse, avec plus ou moins de succès. En plus de déployer une variété de styles, depuis le pittoresque de la Butte-aux-Cailles jusqu’aux grands livres ouverts de la Bibliothèque nationale de France, le 13e arrondissement s’embellit désormais d’œuvres d’art contemporaines réalisées sur les murs des bâtiments, parfois sur le sol. Ces réalisations ont été initiées par Mehdi Ben Cheikh, fameux directeur et fondateur de la Galerie Itinérance consacrée à l’art urbain, ce que les Anglo-Saxons nomment le “street art”.

Ce livre, “Boulevard Paris 13” publié chez Albin Michel à l’automne 2020 offre aux amateurs ou aux curieux un très bel aperçu de ces œuvres d’art qui ornent l’espace de la ville. Le coffret réunit un très beau livre et dix planches reproduisant quelques-uns de ces murs, devenus emblématiques. En ces temps de pandémie où les musées sont, hélas ! fermés, ces peintures demeurent : depuis sa fenêtre ou son balcon, depuis la rame du métro, elles sont autant d’expression de la créativité humaine, autant d’ouverture sur l’autre et sur l’ailleurs. Mehdi Ben Cheikh souligne justement l’aspect “hors normes” de l’art urbain “qui sort complètement des cadres habituels de l’art contemporain “. Ce mouvement artistique est un mode d’expression qui revisite l’histoire de l’art et semble rendre plus accessible l’art contemporain en s’appropriant le paysage urbain. Aux collections des musées traditionnels construites avec la patience du temps, l’art urbain propose une alternative complémentaire : l’art n’est plus cantonné dans un espace clos, il investit l’environnement quotidien des habitants. Il s’agit de créer “des tentatives”, de repousser “les limites de ce qui est faisable en allant vers l’inconnu” et de susciter “une réflexion sur comment s’insérer dans le cadre de la ville tout en accompagnant le mouvement de l’art urbain”.

Tous les styles, toutes les techniques se mélangent, se complètent, se répondent les unes aux autres, comme autant d’échos dans la ville dans une scénographie que l’espace renouvelle. Les aliens pixélisés d’Invader envahissent littéralement le moindre coin d’immeuble, quand l’artiste chilien Inti, à la station Chevaleret, dévoile un poétique et lumineux portrait féminin, tout en couleur et en drapés délicats. À la station Nationale, c’est la fameuse Marianne de Shepard Fairey qui affiche ses couleurs bleu-blanc-rouge, réponse artistique à l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015. La chevelure fleurie de Marianne m’évoque toujours les affiches Art déco de Mucha, le menton fièrement soutenu par une rose et deux pinceaux, comme si l’art permettait de souder et d’unir la communauté nationale.

“Boulevard Paris 13” invite donc à flâner, le nez vers le ciel, à la découverte de ces œuvres murales variées. Les photographies permettent de resituer ces fresques dans un espace architectural unique et d’observer quelques détails qui échapperaient aux promeneurs. Les œuvres et le livre se répondent dans un va-et-vient entre extérieur et intérieur, afin de profiter pleinement de ce nouveau rapport à l’espace urbain que l’art redessine.

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Mehdi Ben Cheikh, né en 1974 à Tunis, est un galeriste franco-tunisien d’art urbain et d’art contemporain. Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, il est le directeur et le fondateur de la Galerie Itinerrance à Paris et organisateur de nombreux projets hors les murs tels que la Tour Paris 13, Djerbahood, Street Art 13, ou encore Earth Crisis1. Ben Cheikh déploie sa volonté d’exposer les artistes venant de l’art urbain hors des murs de la galerie, en organisant des projets dans tout le 13e arrondissement, permettant aux artistes de peindre en extérieur, sur les murs de la ville, leur support habituel.

Ben Cheikh, Mehdi, “Boulevard Paris 13 : le musée de street art à ciel ouvert / Boulevard Paris 13 : open air street art museum”, Albin Michel, “Walls in a book”, 07/10/2020, 1 vol. Illustrations en couleur , 30X24 cm + 10 planches.

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