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Ariadna Castellarnau, Brûlées, traduction de l’espagnol par Guillaume Contré, Éditions de l’Ogre, 10/02/2025, 144 pages, 17€

Chronique Mare Nostrum Ariadna Castellarnau, Brûlées

Ne va pas dans les bois, car dans les bois, tu trouveras les bois. Peut-être un crime serait-il bientôt commis dans toutes les piscines de Shanghai, peut-être leurs parois étaient-elles toutes carrelées pour pouvoir nettoyer facilement le sang.

Figurant en préambule de l’ouvrage, les citations de Günter Grass et de J.G. Ballard donnent d’emblée le ton d’une prose aussi perturbante que décapante.
Comme si l’autrice – et journaliste – catalane s’ingéniait à diligenter une fable mystérieusement crépusculaire. Divisé en courts, huit chapitres, s’apparentant à des nouvelles indépendantes, chacune centrée sur la trajectoire d’un personnage principal, Brûlées s’avère aussi désorientant dans sa forme que dans son contenu. Très vite l’on perçoit un commun dénominateur des plus sombres.
Dans un monde qui touche à sa fin, à moins qu’il ne soit déjà mort, des groupes humains épuisés luttent contre la faim et survivent à l’état primitif dans une totale dévastation.

Le constat d’une désagrégation humaine

Clairement, on est en plein dans le genre saturé de la fiction post-apocalyptique, que la prose de l’autrice exprime cependant de façon concise et poétique, en tout cas, terriblement évocatrice.

Le ciel rétrécissait et se refermait sur nous, la force gravitationnelle de la Terre devenait plus dense et nous entraînait vers le cœur même de la planète, et ainsi continueraient-ils tous deux, ciel et Terre, en nous absorbant et en nous écrasant lentement, jusqu'à ce qu'autour de nous ne restât pas même l'obscurité, pas même le néant.

Cela étant, l’autrice ne sembla pas se complaire dans la description d’un monde arrivé à ses fins. Ce qu’elle s’efforce de mettre en lumière, c’est l’humain dans son intimité et son rapport à l’autre.
C’est pour elle ce qui reste de notre part d’humanité, du groupe social, des liens amoureux, de la famille lorsque tout se désagrège, quand il n’y a plus aucun filtre apaisant ni logique lisible des nouveaux rapports de force. C’est la difficulté, voire l’impossibilité de reconstruire une morale et une éthique quand les règles civilisationnelles ont été anéanties. Une manière d’inventorier le désagrément de la condition humaine d’autant plus signifiant qu’il s’inscrit hors du milieu spatio-temporel.

Un regard éminemment féministe

Pas de pays ni de structures sociales, tout juste quelques indices évoquent des villes ou des lieux avec terrains de tennis, barbecue et piscines. Peut-être parce que la romancière a validé sa thèse de doctorat en philologie en Argentine, peut-on imaginer que certains chapitres aient pour cadre les lieux austères de Patagonie ou de Terre de Feu, mais ce ne sont là que suppositions.
Ce qui ressort surtout de Brûlées, c’est le regard féministe que porte la romancière sur les femmes, véritables héroïnes d’un récit, contraintes de réinventer une vie sociale dans un monde où le pouvoir des hommes s’est progressivement délité.

Le monde se meurt. Peut être est-il déjà mort, mais des survivants l’habitent encore. Ils font des pactes sur la manière de mourir de faim, défendent leurs austères possessions, prient le long des chemins et abandonnent leurs enfants, soit pour qu’ils aient une vie meilleure, soit par épuisement.

Au gré de l’avancée des huit nouvelles, dont deux notamment Youkali et Grand feu, impressionnent par le flot d’images et de métaphores, cette fiction apporte une forte dose d’étrangeté et d’insaisissable qui grâce à la plume incisive et poétique du contenu, suscite un réel attrait.
Une indéniable qualité qui fait mieux comprendre la récompense du prestigieux prix Las Americas de Narrativa Lationoamericana obtenue par Brûlées dans sa version originale espagnole en 2018.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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