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Le recueil est assez mince pour que vous le perdiez entre deux volumes de votre bibliothèque. Mais vous l’y chercherez avec la fébrilité d’un chercheur d’or qui entrevoit une pépite, car ce petit livre en est bien une sous sa couverture discrète !
Issue de la communauté Michi Saagiig Nishnaabeg, son auteure Leanne Betasamosake Simpson, est, à ce jour, l’un des visages les plus représentatifs d’une génération autochtone qui revendique avec vigueur une juste place dans le pays qui est le sien. Elle a participé en 2012 au mouvement « Idle no more. »
Écrivaine, elle est aussi théoricienne, musicienne, et enseignante invitée à l’université Ryerson.
Le présent ouvrage est paru en 2011 sous le titre « Islands of decolonial love« , puis traduit en français en 2018 aux éditions Mémoire d’encrier. Cette maison québécoise, fondée en 2003, promeut : « les littératures de la diversité, les valeurs du vivre ensemble, en confrontant l’histoire, le racisme et les inégalités ».
Et on notera tout le soin qu’elle apporte à ses collections, en optant pour une élégante sobriété mais en imprimant ses publications sur un papier 100 % fibres recyclées, traité sans chlore, accrédité éco-logo et fait à partir de biogaz !

Si « la cartographie est à la base un projet colonial visant à dominer et à gouverner un territoire en y traçant des divisions, le titre de cette traduction doit donc être compris comme une métaphore », (note des traductrices), qui bouscule toute idée de barrières, de désunion ou d’exclusion.
L’illustration retenue pour la couverture n’est autre qu’une constellation, et les hommes se sont toujours plu à relier les étoiles, si éloignées soient-elles sur la sphère céleste, pour leur donner un nom. Ainsi, peut-il en être des peuples s’ils se déprennent de toute idée de supériorité ethnique ou culturelle ?
Et le mot central du titre « Amour » ouvre tous les possibles d’un monde nouveau qui serait libéré des contraintes et des pressions subies depuis les débuts de l’occupation du Canada par les puissances occidentales.
Les premières nations, peuples autochtones canadiens, fortement adaptés à leur milieu de vie naturel, nantis de leurs propres langues et de leurs traditions culturelles et religieuses ont été, au cours des siècles, spoliés de leurs terres et stigmatisés par un statut « d’indiens ». Ils ont vu leur espace vital réduit à des réserves, leurs enfants conduits dans des internats pour y être soumis à une assimilation forcée.
Et leur relative liberté à partir des années 1950 ne les délivrera pas des mesures discriminatoires jusqu’au XXIe siècle.
C’est l’empreinte terrible laissée par tant d’années d’oppression, de racisme, de mépris et de sexisme que dénonce sans haine mais sans complaisance les textes de Leanne Simpson.
Son style est comme un diamant brut dont on perçoit les éclats lumineux sous les aspérités de la pierre.
La revendication de cette liberté nouvelle, décomplexée, revendiquée, est déjà dans la forme : une compilation de textes, parfois très courts (certains n’excèdent pas une page), aux genres les plus variés : brefs récits, moments de vie d’une petite fille autochtone déjà en rébellion, puis d’une jeune femme déterminée, poésies, poèmes en prose, chansons…
Son écriture à la fois rude et veloutée, d’une grande liberté fait fi de toutes les conventions.
Un point pour clôturer d’interminables paragraphes, des phrases soudainement suspendues, des anaphores fréquentes comme une scansion et une langue à la fois étonnante et envoûtante qui agrège le français et les mots de la langue du peuple Michi Saagiig Nishnaabeg.,
Des titres énigmatiques dont certains trouvent leur explication dans les remerciements de l’auteure.
Et l’abolition de toutes les majuscules, aussi bien en tête de phrase que devant un nom dit « propre », dont on comprend bien qu’elles puissent être exclues en tant que caractères typographiques imposés, prend ici une valeur symbolique.
De ces petits textes si fortement marqués par les cicatrices encore brûlantes de l’oppression colonialiste, les mutilations causées par les bulldozers, les écluses et les barrages hydroélectriques, se dégagent pourtant une infinie poésie.
Elle naît de cette étreinte immémoriale entre l’être humain et la terre mère, celle qui recouvre le corps des ancêtres, qui assure la survie de toutes les espèces, autorise la circulation des vivants, le dialogue avec les esprits, une liberté que représente le canoé en forme de jouet dans le poing serré d’une enfant…
Une infinie poésie que résume si bien le beau texte « nogojiwanong », page 113 :
« Parce que nous aimons boire à même la rivière pendant que nous donnons naissance et que nous allaitons, l’eau pure de nos ventres et de nos seins est la même que celle de nos rivières et de nos lacs ».

(Ce beau livre est aussi une collaboration musicale et un logo en fin de table des matières nous invite à écouter et télécharger les morceaux interprétés par Leanne Simpson).

Christiane SISTAC
contact@marenostrum.pm

Simpson, Leanne, « Cartographie de l’amour décolonial « , traduction, Natasha Kanapé Fontaine et Arianne Des Rocher, Mémoire d’encrier, 13/11/2018, 152 p. 16,00€

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