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Michel Vergé-Franceschi, Charles Bonaparte : père de Napoléon Ier, Passés composés, 01/03/2023,1 vol. (339 p.), 22€.

Lorsque j’étais étudiant à Montpellier, j’arpentais souvent la vieille ville à la recherche de jolis sites à contempler et d’anciens bâtiments historiques à découvrir. Mes pérégrinations me menèrent un jour dans la rue du Cheval Vert. Là, quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir, au numéro sept, une plaque indiquant : “Ici est mort le 24 février 1785, Charles BONAPARTE, père de Napoléon 1er”. Il n’avait que 39 ans. À cet instant que je pris conscience que tous les grands hommes ont un père.
Plus récemment, lors d’un voyage en Corse, je visitais la chapelle impériale d’Ajaccio. Dans une alvéole, aux côtés de son épouse, reposait Charles ainsi qu’une partie de sa descendance. C’est à peu près tout ce que je savais de lui.
Alors que Napoléon, ses frères et ses sœurs bénéficient d’une littérature abondante, force est de constater que le père de l’Empereur ne fait pas la une des parutions. Michel Vergé-Franceschi, auteur de très nombreux ouvrages sur la Corse, n’a pas voulu laisser tomber dans l’oubli LE personnage clé de l’épopée napoléonienne. Pourquoi lui donner une telle importance ? Parce qu’il a œuvré en toute conscience et avec une rare énergie à l’élévation de sa vaste progéniture dont il ne verra malheureusement pas l’apogée.
Dans son ouvrage, l’auteur ne se contente pas de nous faire une biographie linéaire. Il ne résiste pas à la tentation de ratisser large autour de son héros afin de nous aider à mieux cerner l’état d’esprit dans lequel Charles Bonaparte se mouvait au cours de sa courte vie.
Tordant le cou aux multiples clichés et aux contre-vérités qui entourent la personnalité du géniteur, ce livre a pour but de nous délivrer, d’une manière habilement détaillée, le vrai tempérament de cet homme que nous devinons intelligent, bon, aimant, avisé et, pourquoi ne pas l’avouer, attachant.
Né dans l’île de Beauté sous domination génoise, le jeune Charles fait partie de cette petite noblesse sinon riche, du moins bien installée. Cultivé, entreprenant, il est le Corse à qui l’on veut faire confiance et qu’on veut faire avancer. Aidé en cela par un oncle, prêtre, qui remplace son père trop tôt disparu, il bénéficie d’une aisance financière qui attire le sieur Pietrasanta, grand-père d’une jeune fille qu’il adore, une certaine Létizia Ramolino. Cet homme, puissant, voit en Charles le compagnon parfait pour sa descendante. D’une vieille famille génoise, il est apparenté à l’ambassadeur de cette république italienne auprès de la cour de France. Le jeune Buonaparte, en épousant la petite et forte Létizia, entre dans l’histoire.
Suivant très tôt le firmament de Pascal Paoli, le jeune marié s’installe à Corte pour siéger en tant qu’assesseur au parlement corse. Les affaires le mènent bientôt à Ajaccio où il se fixe définitivement. Copropriétaire d’une maison cossue au centre-ville, il part terminer ses études en Italie, d’où il revient muni d’un beau diplôme d’avocat, car il faut bien vivre ! Devenu Français à la suite de l’achat par la France de l’île, Bonaparte se jette à corps perdu dans toutes les activités qui pourront faire de sa descendance des citoyens respectueux de la couronne et respectés des Insulaires. En effet, son épouse lui a donné treize enfants, dont huit survivront. Entretemps, sa position en faveur des nouveaux maîtres le brouille définitivement avec l’indépendantiste Paoli. La Corse est désormais coupée en deux et seules les bonnes manières des protagonistes empêchent les vendettas meurtrières.
Puisqu’on est désormais Français, autant étendre sa toile d’araignée dans le bon sens. Le grand-père Pietrasanta se charge de titiller son cousin pour qu’il fasse reconnaître les titres de noblesse de Charles. Ceci étant fait, Charles, que la famille ne connaît que sous son prénom Carlo, se fait l’ami du gouverneur français, siège au conseil municipal d’Ajaccio et promeut des travaux visant à assainir la ville et ses alentours. Faisant fructifier judicieusement son petit pactole, il entreprend des opérations foncières heureuses, en n’omettant pas d’y associer famille et amis de toujours. Il a des accointances avec toutes les couches de la société ajaccienne. C’est là qu’apparaissent des noms qui plus tard, grâce à Napoléone, fleureront bon l’épopée impériale.
Il est maintenant temps de s’occuper de l’avenir des enfants que lui a donné son épouse chérie et aimante. Ayant obtenu subsides de voyages et bourses pour les aînés, le voici arpentant le “continent” pour déposer Joseph au grand séminaire d’Aix en Provence, Napoléone au lycée militaire de Brienne et Elisa à la maison de St Cyr. Les jeunes Lucien et Louis suivront bientôt.
La consécration arrive enfin avec la présentation de Carlo et Létizia au roi Louis XVI. Quelle aventure, quels honneurs ! Voici le couple se dirigeant vers Versailles, en faisant un crochet par Brienne pour embrasser leur cadet, maigre, les yeux de feu, le teint olivâtre, à tel point que sa mère envisage de le reprendre. Tout pourrait aller pour le mieux si ce n’était cette satanée douleur lancinante à l’estomac.
Le retour à Ajaccio n’est que de courte durée pour Charles. Après avoir vu naître son dernier : Jérôme, et avoir mis ses affaires en ordre, voici notre Corse qui revient en France pour soulager son mal, qui empire insidieusement. De spécialistes en rebouteux, il arrive enfin à Montpellier où la faculté accueille ce que la médecine compte de plus capable… à cette époque. Entouré par la famille Permon, de grands amis de Létizia et dont l’une des filles épousera Junot, le compagnon d’armes de Bonaparte, Carlo s’étiole lentement sur son lit de souffrance.
Au moment de partir pour un monde qu’on espère meilleur, Carlo di Buonaparte peut estimer qu’il a fait ce que sa conscience lui a dicté pour mener sa famille au plus haut qu’il pouvait. En cela, il s’est trompé. Rien dans son imagination pourtant fertile ne pouvait laisser prévoir la suite de tout ce qu’il a bâti avec son amour de père. Un fils sera empereur, trois fils et une fille ceindront la couronne royale, deux filles seront princesses et un fils sera prince. Quelle destinée !
Ce qu’il n’avait pas non plus prévu, c’est que sa maladie fera aussi le malheur de ses enfants, la plupart d’entre eux mourra de la même affection.

Charles Bonaparte, le premier d’une lignée glorieuse, qu’il ne connaîtra pas.

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Chroniqueur : Renaud Martinez

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