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Nicolas est un luthier reconnu, un mari comblé par sa magnifique épouse Claire, un père de quatre enfants aux trajectoires différentes mais dont il pourrait légitimement s’enorgueillir. Quinquagénaire qui se devrait d’être comblé devant l’apparente réussite de ses vies professionnelle et privée, il porte pourtant, à l’instar de tant d’autres hommes, sa cinquantaine comme un fardeau. Mais là où l’immense majorité de ses coreligionnaires en presque vieillesse puisent leur vague à l’âme dans la vie basculée au revers de sa propre médaille, au peu de temps qu’il reste comparé à celui, surnuméraire, déjà perdu, Nicolas nourrit sa mélancolie à la source intarissable de son passé enfoui, refoulé, secret.

Mélancolique est sans doute l’adjectif qui le qualifie le mieux, qui le définit et le caractérise au plus profond de son être. Sa mélancolie s’exprime en longues plages de silence, incompréhensibles et parfois insupportables pour lui-même comme pour ses proches, en fugues régulières vers les plus beaux musées du Monde, les paysages océaniques ou les contrées lointaines, en une asocialité qui, peu à peu, le rapproche de son moi profond mais le détache de la vie et des autres. Dans ces moments rien n’y fait ni les sublimes violons qu’il soigne de ses mains expertes, ni l’amour de ceux qui l’aiment, ni les beautés entrevues ou apprises.

Chienne de vie est le roman d’une introspection lente, douloureuse, peut-être impossible pour un Nicolas dont elle est à la fois la seule issue de secours et la porte des enfers. Fouille, extraction, excavation pratiquées à même les souvenirs conscients ou inconscients, l’introspection prend le plus souvent l’allure d’un chemin de croix pour notre héros qui peine à ne pas s’y laisser engloutir tout entier. L’histoire bascule brutalement à la moitié du roman et surprend le lecteur comme l’uppercut cueille le boxeur indolent au menton. S’ensuit une deuxième partie au rythme soutenu qui dévale vers le dénouement, vers l’indicible finalement mis à jour. Dans cette seconde partie, les « seconds rôles » prennent toute la place et l’on apprend à connaître tous ces personnages qui, s’ils n’occupent pas directement le devant de la scène, n’en sont pas moins riches d’histoires et de destins personnels souvent chaotiques, parfois dramatiques.

Denis Lafay est journaliste, directeur de collection mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, « Chienne de vie » est son premier roman. Il y parle comme on ne parle plus, y écrit comme l’on devrait écrire, raconte comme seuls racontent ceux qui ont quelque chose à raconter. Son écriture érudite, précise, parfois précieuse, scande la sombre histoire d’un homme qui dérive entre un gris aux nuances changeantes et « l’outrenoir » de Soulages. Ce sont d’ailleurs les arts et leur beauté qui font ici office de projecteurs avec la double mission d’éclairer les états d’âme de Nicolas par des peintures, des concertos, des chansons et d’offrir un contrepoint de lumière et de beauté à une histoire où l’obscur prédomine. Sous le pinceau de Munch, dans les notes de Dvorak ou de Brel, héros, auteur et lecteurs trouvent des raisons d’espérer sur le chemin de l’introspection et de la résilience.

Lafay, Denis, Chienne de vie, El Viso, 07/04/2022, 1 vol. (178 p.), 18,00€

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