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Chochana Boukhobza, Les femmes d’Auschwitz-Birkenau, Flammarion, 20/03/2024, 1 vol. (562 p.), 24€.

Tenter de dire Auschwitz par le langage est voué à l’échec. Les mots ne peuvent que constater leur propre défaite à saisir cette réalité qui les dépasse. Le silence qui entoure aujourd’hui le destin des femmes déportées à Auschwitz-Birkenau est enfin rompu grâce à l’ouvrage aussi nécessaire que bouleversant de Chochana Boukhobza, Les femmes d’Auschwitz-Birkenau. Écrivaine et cinéaste, l’auteure a consacré sept longues années à rassembler les témoignages des rescapées et à explorer les archives, les minutes des procès, pour restituer dans toute sa complexité l’expérience spécifique des femmes dans l’enfer concentrationnaire. Dès 1942, Auschwitz-Birkenau – deux camps différents séparés par trois kilomètres – devient le plus grand centre de mise à mort des juifs d’Europe. Sur plus d’un million de déportés assassinés dans ce complexe tentaculaire, environ 250 000 sont des femmes, en majorité juives, mais aussi tziganes, résistantes ou témoins de Jéhovah. C’est aussi le seul camp d’extermination au sein duquel les SS ont incarcéré ensemble des juives, et des non-juives. Soumises comme les hommes au processus de déshumanisation et d’extermination, elles endurent des souffrances supplémentaires : les viols, les avortements forcés, les expérimentations médicales sur leur capacité de procréation…

Pourtant, leur histoire singulière reste largement méconnue. Seuls une poignée de récits, comme celui de Simone Veil, ont atteint le grand public. C’est cette “moitié oubliée” de la Shoah que l’auteure a voulu mettre en lumière, en donnant la parole à celles qui ont si longtemps dissimilé leurs souffrances. À travers un impressionnant travail d’enquête et de collecte de témoignages, elle fait émerger la voix de ces femmes de tous âges, de toutes origines, déportées des quatre coins de l’Europe. De l’arrivée sur la rampe de Birkenau à la libération du camp en janvier 1945, Chochana Boukhobza explore toutes les facettes de la vie concentrationnaire au féminin. Avec une grande finesse d’écriture, elle restitue la texture du quotidien, les liens tissés entre détenues, les hiérarchies et les antagonismes, mais aussi les extraordinaires ressources que ces femmes ont su mobiliser pour tenir bon et résister à la déshumanisation.

Plus qu’une “simple” histoire des femmes à Auschwitz, c’est une véritable anthropologie de la vie sociale au sein du camp que propose ici Chochana Boukhobza, faisant dialoguer les voix individuelles et l’analyse historique pour donner à voir toute la complexité des comportements humains dans l’univers concentrationnaire. Un livre d’une importance capitale pour la connaissance de la Shoah, et plus largement pour la réflexion sur ce que les situations extrêmes révèlent de l’ambivalence de la nature humaine. Un livre essentiel, enfin, pour transmettre la mémoire de ces femmes sacrifiées, et leur redonner, près de 80 ans après, leur visage et leur dignité. Un livre surtout pour ces femmes qui s’étaient jurées de survivre :

… pour raconter celles qui avaient été assassinées : "Raconte pour nous ! Ne nous oublie pas ! Vis pour moi ! Vis et parle de nous", leur avaient-elle demandés.

L'arrivée et la vie quotidienne des femmes au camp

Dès les premières pages, Chochana Boukhobza nous plonge dans l’horreur des convois de la déportation. Entassées pendant des jours dans des wagons à bestiaux sordides, sans air, sans eau, sans nourriture, les femmes subissent un véritable calvaire qui préfigure l’enfer concentrationnaire. À l’arrivée sur la rampe de Birkenau, c’est le choc de la sélection impitoyable, qui sépare en un instant les familles. Mères et filles sont brutalement arrachées les unes aux autres, sans même un adieu. Seules sont épargnées les plus jeunes et les plus robustes, aussitôt soumises à un processus de déshumanisation implacable. Dépouillées de leurs vêtements, de leurs cheveux, de leurs maigres bagages, les déportées sont dès lors réduites à un simple matricule tatoué sur leur bras. Un numéro pour seule identité, comme le symbolise l’anéantissement de leur prénom. Dans la violence des premiers jours, elles doivent apprendre à déchiffrer les codes et les règles de cet univers nouveau, où la moindre incartade peut être fatale.

Le camp de femmes de Birkenau s’organise comme une ville écrasée de terreur, quadrillée par les barbelés, surveillée par des miradors. Dans les blocks de bois lugubres s’entassent les détenues, dans une promiscuité éprouvante. Chaque “déchet humain” se voit attribuer une place précise, un rôle déterminé dans la machinerie du camp. Les plus chanceuses occuperont une fonction “privilégiée” dans les cuisines, les ateliers ou les bureaux. Les autres formeront l’armée des travailleuses forcées, assignées aux kommandos les plus éreintants.

Irma Grese (au centre) – surnommée "la hyène d’Auschwitz "
Irma Grese (au centre) – surnommée "la hyène d’Auschwitz "

Chochana Boukhobza décrit avec une précision clinique et insoutenable les terribles conditions de vie, entre pénurie et saleté. La faim tenaille les corps en permanence, les maladies (typhus, dysenterie) fauchent par centaines ces organismes affaiblis. Les coups pleuvent à la moindre incartade, la violence est la loi du camp. Et si les kapos peuvent parfois protéger “leurs” détenues, les gardiennes SS comme la terrible Irma Grese – surnommée “la hyène d’Auschwitz” et qui sera pendue en 1945 – rivalisent de cruauté. Dans cet enfer sans nom, les femmes luttent à chaque instant pour leur survie, unies parfois dans l’entraide, mais le plus souvent isolées dans une lutte solitaire et désespérée.

Des destins individuels confrontés à l'horreur

Au-delà de la description des mécanismes de la terreur nazie, c’est avant tout à hauteur d’homme – ou plutôt de femmes – que se situe le récit de Chochana Boukhobza. Dans une approche quasi-romanesque (pardon de l’euphémisme), l’auteure tisse les parcours singuliers de déportées de tous âges et de toutes nationalités, donnant chair et visage à des destins exemplaires.
On y croise ainsi la Française Danielle Casanova, morte du typhus en 1943, la Belge Mala Zimetbaum (surnommée l’héroïne d’Auschwitz exécutée en 1944 après être parvenue à s’évader) ou encore la résistante polonaise Roza Robota (autre héroïne torturée puis pendue le 6 janvier 1945). Chacune raconte son histoire unique : là une enfance heureuse en Pologne, là une jeunesse engagée dans la Résistance, là une vie de famille paisible à Paris… jusqu’à la déflagration de la déportation. Mais toutes désormais sont unies par un même combat : trouver chaque jour la force de survivre à cet écrasement programmé de leur humanité. Une force que les femmes – peut-être bien plus que bien des hommes – ont su démontrer :

Nous répondions avec insolence aux nazis. Nous avions compris qu’ils ne pouvaient nous tuer qu’une seule fois. Et quand certains SS nous demandaient, étonnés par nos yeux bleus et notre peau blanche : "Vous êtes juives ?" On leur répondait : "Oui, juives. Juives et fières de l’être".

Pour ne pas sombrer, les détenues s’accrochent aux souvenirs, aux visages aimés, aux mirages d’un avant ou d’un après. Mais c’est aussi la solidarité concrète, les gestes d’entraide qui permettent de tenir. On partage une ration de pain, un bout de couverture, on se soutient mutuellement pour affronter un appel interminable dans le froid glacial. Des amitiés indéfectibles se nouent, des groupes se soudent, comme celui des communistes françaises ou les liens quasi maternels entre Roza Robotava et les adolescentes qu’elle prend sous son aile.

Pour les femmes, l’horreur se décline de façon particulière, comme le rappelle Chochana Boukhobza. Leur corps devient un enjeu, un objet de désir morbide pour les SS. Comme l’exprime l’auteure : “la mâchoire du piège se referme”. Toutes celles qui arrivent par le premier convoi de femmes sont toutes vierges et célibataires en 15 et 25 ans. Elles vont toutes être déflorées par un médecin. Viols, violence sexuelle, humiliations sont leur lot quotidien. Pire encore : les avortements forcés pratiqués dans des conditions atroces, les expérimentations médicales barbares, notamment les stérilisations, censées faire avancer la science nazie. Les femmes en âge de procréer sont ainsi transformées en cobayes, torturées dans leur chair et dans leur âme par les médecins SS comme le sinistre Clauberg. Dans l’enfer du block des expériences médicales de l’encore plus sinistre docteur Mengele, la doctoresse roumaine Adela Gross et son “infirmière” improvisée Ruth Elias, s’épaulent pour soigner les cobayes humains et leur redonner un peu d’humanité.
Face à cela, certaines parviennent à s’évader par l’esprit, à puiser dans des ressources intellectuelles ou spirituelles pour ne pas devenir folles. Telle détenue répétant inlassablement un poème appris enfant, telle autre inventant des recettes de cuisine… D’autres s’engagent dans la lutte clandestine, au péril de leur vie, pour recouvrer leur dignité et leur liberté. Autant de destins où se révèlent des trésors de courage et de résilience, autant de leçons de vie que Chochana Boukhobza restitue avec une indicible force.

Les différentes formes de résistance

Dans l’enfer d’Auschwitz-Birkenau, toute forme de résistance semble vouée à l’échec. Et pourtant, comme le montre l’auteure, les femmes ont su déployer mille et une stratégies pour s’opposer à la machine de mort nazie. La première forme de résistance, c’est l’entraide au quotidien, les gestes de solidarité qui permettent de préserver une once d’humanité. Partager sa maigre ration de pain, cacher une compagne épuisée le temps d’un appel, soigner une malade avec les moyens du bord… Autant de petits actes qui sauvent des vies et redonnent un peu d’espoir. Une chaîne toujours silencieuse car les mouchardes abondent. Mais au-delà de ces gestes individuels, de véritables réseaux de résistance clandestins s’organisent dans l’ombre. Chochana Boukhobza met en lumière le rôle central joué par certaines détenues, comme Mala Zimetbaum, devenue agent de liaison entre les différentes factions de la résistance grâce à sa fonction de “coursière”. Ou encore celui de Roza Robota, membre active du mouvement de jeunesse sioniste Hachomer Hatzaïr, qui coordonne un audacieux sabotage au sein même d’une usine de munitions.

L’un des épisodes les plus extraordinaires est sans nul doute le soulèvement du Sonderkommando en octobre 1944. Grâce à un réseau clandestin de détenues qui réussissent à subtiliser de la poudre dans une usine d’armement, les hommes de ce “commando spécial” chargé de brûler les corps parviennent à détruire partiellement le crématoire IV et à s’évader. Malgré l’échec de la tentative et la répression sanglante qui s’ensuit, cet acte désespéré porte un coup symbolique à la toute-puissance SS.
Car comme le rappelle Chochana, face à la brutalité arbitraire, le simple fait de rester en vie, de “tenir bon” un jour de plus est déjà un acte de résistance. Tout comme ces menus gestes de rébellion ou de désobéissance qui permettent aux détenues de garder intacte leur dignité malgré les humiliations et la déshumanisation. Refuser de marcher au pas, chanter en yiddish malgré l’interdiction, célébrer en secret shabbat ou Kippour… Autant de petites victoires sur la barbarie nazie.

Le rôle ambigu de certaines détenues

Mais Chochana Boukhobza explore aussi, avec une grande finesse, toute l’ambivalence de ce que Primo Levi appela la “zone grise” où évoluent certaines détenues. À commencer par ces kapos et “blockovas” (chefs de block), détenues “privilégiées” chargées d’encadrer les autres prisonnières.
Ainsi Maria Mandl, l’impitoyable, sadique et cruelle SS Oberaufseherin qui règne sur le camp des femmes, n’hésite pas à battre sauvagement les détenues lors des appels. Mais dans le même temps, elle protège certaines privilégiées, comme les musiciennes de l’orchestre, leur épargnant les sélections et les pires corvées. De même, la blockhova slovaque Eva se montre d’une cruauté redoutable avec les détenues de son block, leur volant leurs maigres rations. Mais un jour, prise à partie par l’une d’elles, l’adolescente Marisia, elle hésite à la dénoncer aux SS, ce qui lui vaudrait une mort certaine. Un sursaut d’humanité inattendu chez cette femme endurcie.
Plus ambivalente encore est la position de ces détenues affectées à des postes enviés : secrétaires dans les bureaux de la SS, infirmières du camp ou musiciennes de l’orchestre. Si ce statut leur épargne les pires souffrances, il les oblige souvent à servir la machine de mort nazie. Comment rester intègre quand la survie impose des compromissions ?
De même, les secrétaires juives du Politische Abteilung, le “bureau politique”, doivent taper chaque jour les listes de détenues envoyées à la chambre à gaz. Une complicité mécanique avec le meurtre de masse qui les hantera à jamais.
Car dans l’univers dévoyé du camp, les repères moraux explosent, et chaque détenue développe ses propres stratégies de survie. Voler un peu de nourriture, négocier les faveurs d’un garde, dénoncer une codétenue… Des “arrangements avec le mal” qui laissent des traces indélébiles chez celles qui rentreront.
Ainsi, Olga Lengyel raconte comment, anéantie après la perte de sa famille, elle s’est laissée un jour approcher par un kapo lui promettant de la nourriture, avant de le repousser quand il a tenté d’abuser d’elle. Une scène qui la plonge dans un abîme de culpabilité et de dégoût : “À Auschwitz, la jouissance était le seul amour possible, acquis soit par la force, soit pour un objet”, écrit-elle.
De même, le médecin SS Mengele promet monts et merveilles aux détenues enceintes qui accepteront d’accoucher dans son sinistre bloc des expériences. Certaines cèdent, espérant sauver leur enfant, avant de le voir arraché de leurs bras à la naissance pour être gazé. Un “choix” terrible qui les laissera brisées.

Autant de zones d’ombre que Chochana Boukhobza explore sans juger, révélant toute la complexité de la nature humaine face à des situations extrêmes. Mais quand il est question de survie, est-il possible de rester un Saint dans cet Enfer ?

Survivre la survie…

On l’aura compris, l’un des grands mérites du livre de Chochana Boukhobza est de recueillir – grâce à des archives longtemps restées inédites – la parole des dernières survivantes, de plus en plus rares. Leurs récits, trop longtemps occultés, constituent aujourd’hui une source historique irremplaçable pour comprendre la singularité de l’expérience concentrationnaire au féminin. Car les souffrances spécifiques endurées par les femmes – les viols, le deuil impossible des enfants envoyés à la chambre à gaz, la honte du corps souillé – expliquent en partie le long silence de beaucoup d’entre elles.
C’est peu à peu, parfois des décennies après leur retour, que certaines se sont résolues à raconter leur calvaire. Simone Veil fait figure de pionnière, elle qui dès les années 1970 ose briser le tabou en décrivant l’innommable, ouvrant la voie à de nombreux témoignages. L’onde de choc provoquée par le film “Shoah” de Claude Lanzmann en 1985, puis par le procès Barbie, libère enfin la parole des anciennes déportées. Dès lors, l’histoire orale s’emploie à recueillir le maximum de récits de vie, dans une course contre la montre avant que les dernières voix ne s’éteignent.
Aujourd’hui, à l’heure de la disparition des ultimes témoins directs, le travail de Chochana Boukhobza prend tout son sens. Il s’agit de fixer à jamais la trace de ces voix, de construire une “mémoire d’après” pour que jamais ne soient oubliées ces femmes broyées par la folie nazie. C’est le sens du vibrant hommage que leur rend l’auteure, rappelant que parmi les quelque 250 000 femmes déportées à Auschwitz-Birkenau, seules 35 000 environ en sont revenues.
Redonner un nom, un visage, à toutes celles qui “sont parties en fumée”, voilà le défi que relève magistralement cet ouvrage : toutes ces femmes, toutes les ombres que l’on devine sur les clichés flous des sélections sur la rampe, qui font notre mémoire aujourd’hui. Parce que seul le souvenir peut vaincre la mort, Chochana Boukhobza construit ici un mémorial de papier et d’encre. Pour que plus jamais nous n’ayons à dire : “Qui se souviendra d’elles” ?

Au terme de ce voyage douloureux au cœur de la mémoire des femmes d’Auschwitz-Birkenau, Chochana Boukhobza nous ramène une dernière fois sur les lieux du crime. Lorsque le 27 janvier 1945, les soldats soviétiques pénètrent dans le complexe abandonné par les SS en fuite, ils découvrent un charnier à ciel ouvert. Au milieu des baraquements jonchés de cadavres, près de 7 000 “rescapés” hagards, dont 4 000 femmes et 700 enfants. Des “revenantes” qui vont devoir apprendre à survivre à leur survie. Le chemin de la renaissance sera long et semé d’embûches pour ces miraculées. Retrouver un corps dévasté, affronter l’absence des êtres chers, surmonter un traumatisme indélébile… Autant de défis qui en feront vaciller plus d’une. Et pourtant, comme le montre Chochana Boukhobza, l’incroyable vitalité de ces femmes meurtries forcera l’admiration. Certaines réussiront à fonder une famille, à retrouver goût à la vie. D’autres se lanceront à corps perdu dans l’action, pour donner un sens à leur survie. Rares sont celles qui auront la force de témoigner d’emblée, mais leur parole finira par percer la chape de silence.

Crypte du Mémorial de la Shoah à Paris

Faire de la mémoire un aiguillon contre la barbarie

Comme l’exprime Bernard-Henri Lévy, “au-delà d’un certain seuil, les crimes contre l’humanité ont beau rester spécifiques, ils se rejoignent dans l’horreur sans nuances qu’ils suscitent et dans l’impossibilité où l’on est de les hiérarchiser.” Face à l’immensité du crime que représente la Shoah, les mots semblent dérisoires pour tenter d’en circonscrire l’abomination. Toute tentative de description ou d’analyse paraît vaine devant ce gouffre d’inhumanité qui échappe à la raison. L’écrivain se retrouve démuni, incapable de trouver un langage à la mesure de l’événement, condamné à tourner autour de l’indicible. Or, Chochana Boukhobza y est parvenue, et son ouvrage nous offre une synthèse magistrale et inédite de ces récits de vie émergeant peu à peu depuis la fin de la guerre. En croisant les sources, en recueillant la parole des dernières survivantes et rescapées à travers les minutes des procès, l’auteure réussit un double pari : donner une assise scientifique aux témoignages, tout en faisant œuvre littéraire par la mise en récit de ces destinées. Son travail s’inscrit ainsi dans le renouvellement historiographique des études sur la Shoah, qui accorde désormais toute sa place à une histoire des femmes trop longtemps minorée. Ce livre pourrait comporter plusieurs tomes. Il n’est celui de toutes les femmes de Birkenau, car l’auteure n’a pas pu toutes les citer.
Plus qu’un “devoir de mémoire”, formule galvaudée, c’est à un véritable “travail de mémoire” que nous invite Chochana Boukhobza. Un travail nécessaire à l’heure où les voix des témoins s’éteignent, où la négation des crimes et la résurgence de la haine menacent l’édifice fragile du souvenir, à l’heure où – comme l’écrivit Albert Camus – : “À mal nommer les choses, on rajoute au chaos du monde”. Transmettre l’existence infiniment douloureuse de ces femmes, c’est leur restituer leur part d’humanité confisquée par les bourreaux, mais aussi trop longtemps occulté par celui des hommes. C’est rappeler, à rebours de la déshumanisation programmée par les nazis, que chacune était une personne singulière, avec ses forces et ses faiblesses, ses rêves et ses espoirs.

Comment raconter Auschwitz aux nouvelles générations ? En bâtissant des passerelles sensibles entre le passé et le présent, comme le fait admirablement ce livre ou encore celui de Judy Bataillon, Les Résistantes. En suscitant une réflexion sur la fragilité des valeurs humanistes, sur la responsabilité de chacun face à la barbarie. En nous rappelant que les petits renoncements d’aujourd’hui préparent les grandes lâchetés de demain. Bref, en faisant de cette mémoire un aiguillon pour mieux résister aux périls du présent.

Ce livre est bien plus qu’une lecture indispensable, c’est un message universel qui transcende les époques. C’est un cri qu’il nous faut entendre et transmettre inlassablement, avant que les derniers témoins ne s’éteignent. Car, comme le disait Paul Éluard, poète de la Résistance : “Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons”. Faisons alors en sorte que jamais ne s’estompe la flamme de leur souvenir. Puisse chaque page de cet ouvrage attiser en nous le feu sacré de leurs mémoires et de leurs valeurs, afin de construire un avenir digne de leurs sacrifices. Tel est l’immense mérite de Chochana Boukhobza, et notre responsabilité à tous.

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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