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Christine Bergougnous, Les yeux bleus du désert, Elyzad, 17/11/2023, 1 vol. (186 p.), 18,50€

Avec son premier roman Les yeux bleus du désert, Christine Bergougnous nous offre un récit teinté d’un réalisme mystique, où le merveilleux côtoie la dure réalité du désert mauritanien. Inspiré d’une histoire vraie, ce conte initiatique suit le destin de quatre enfants nés aveugles, que leur père, veuf et désespéré, abandonne en plein Sahara dans l’espoir qu’ils retrouvent la vue au bout de leur voyage. Dotée d’une plume fluide et poétique, sensible aux détails et aux ambiances, la romancière réussit à nous transporter au cœur des grands espaces désertiques, pour un périple spirituel qui n’est pas sans rappeler Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ou L’Alchimiste de Paulo Coelho.

Un récit initiatique sur fond de quête spirituelle

Tout comme le jeune Antoine de Saint-Exupéry était parti à la découverte du Sahara, devenant le Petit Prince des étoiles et du désert, les quatre enfants aveugles du roman de Christine Bergougnous se lancent à leur tour dans une quête initiatique à travers les dunes et les oueds de Mauritanie. En abandonnant ses rejetons handicapés en plein désert sur une intuition mystique, leur père Sidi Mahmoud ne fait-il pas écho au renard du Petit Prince, qui lui conseillait de “bien regarder avec les yeux du cœur” ? De même, l’errance des quatre frères et sœurs n’est pas sans rappeler le voyage entrepris par le jeune Santiago dans le best-seller de Paulo Coelho, L’Alchimiste. Leur périple reflète une forme de pèlerinage spirituel vers leur destinée. Il est certain qu’il s’en remettait aux djinns, ces créatures surnaturelles du désert qui auraient la capacité de rendre visite durant la nuit aux petits enfants aveugles, et de leur conférer momentanément le don de la vision à travers les rêves…

Ensuite, il les releva, et leur demanda de marcher droit devant eux, sans jamais se retourner. Il leur promit qu’en marchant, ils retrouveraient la vue. Il cria : Dieu est grand.

En suivant chacun une direction cardinale différente, Baba, Mariem, Zeinebou et Mohamed Lemine vont faire l’apprentissage de la marche dans l’inconnu et des leçons du désert. Ils semblent mus par une force invisible qui les guide à travers les dunes. Le désert mauritanien se fait alors complice de leur quête, les poussant à dépasser leurs peurs et leur cécité pour devenir des êtres accomplis. Symbole d’immensité, d’absolu et de contemplation, ces grands espaces hostiles recèlent une dimension sacrée où le moi profond de chacun peut s’accomplir.
Au fil des rencontres et des péripéties qui ponctuent leur odyssée de sable et de vent, les quatre protagonistes réalisent le véritable voyage initiatique – le passage de l’ombre à la lumière, celui qui vous transporte de vous-même vers vous-même – et qui vous mène de l’enfance à l’âge adulte. Ils en ressortent habités d’une force intérieure et d’une maturité nouvelles. Ils savent “voir avec le cœur” et sont devenus les héros de leur propre histoire.

Une ode au désert mauritanien

Véritable personnage à part entière du roman, le désert mauritanien occupe une place prépondérante. Dès les premières pages, le lecteur est plongé dans les paysages grandioses du Sahara et la rudesse de ses conditions de vie. Avec talent, Christine Bergougnous parvient à restituer toute la beauté et la diversité des décors désertiques. Tantôt étendues de sable blanc à perte de vue, oasis verdoyantes ou gueltate grouillantes de vie, les descriptions foisonnent de détails qui stimulent l’imaginaire.
On suit alors les traces des anciennes caravanes de sel, les campements de nomades aux tentes de laine fichées dans le sable, les oiseaux annonciateurs de grandes nouvelles, la silhouette familière du renard – le compagnon des caravaniers – trottant dans l’obscurité :

Après la prière du soir, la tante rejoignit les enfants sur le grand tapis. Elle leur dit que les étoiles s’étaient toutes rassemblées au-dessus d’eux, et que bientôt, le renard chercherait un peu de nourriture près du camp. On verrait deux yeux jaunes briller dans la nuit, comme deux étoiles qui seraient tombées du ciel, et peut-être le renard japperait-il, pour remercier d’avoir mangé. Elle leur dit de ne pas craindre le renard, car il ne leur ferait rien. Depuis toujours les nomades vivaient avec les renards. C’est ainsi que les enfants s’endormirent la première nuit

Autant de tableaux qui immergent le lecteur dans l’atmosphère singulière du désert mauritanien. Sa rudesse contraste avec la dimension onirique qu’il revêt aux yeux des enfants aveugles ; le désert se fait tour à tour guide, complice ou épreuve initiatique sur leur chemin intérieur.
Véritable ode à ces espaces sauvages qui capturent l’imaginaire, le roman donne aussi à voir toute l’ingéniosité déployée par les nomades et les caravaniers pour survivre au cœur du Sahara. Entre récits légendaires et savoir ancestral, le lecteur découvre un art de vivre façonné par la dure loi du désert et de la vie. Une culture fascinante dont l’auteure se fait subtilement la passeuse à travers son écriture poétique et envoûtante.

Des destins qui s’accomplissent dans l’adversité

Si le désert se montre protecteur et complice du destin des quatre enfants, leur périple n’en reste pas moins semé d’embûches et l’auteure décrit également les horreurs que subit le pays. Privés de la lumière et de leur père, les enfants devront puiser au plus profond d’eux-mêmes la force de continuer. 
Mais à chaque fois, par la grâce de rencontres providentielles, leur résilience et leur courage sont récompensés ; le désert semble conspirer en leur faveur et leur ouvre de nouveaux possibles. Tour à tour, chameliers, chef de tribu ou artiste itinérant leur viennent mystérieusement en aide, permettant aux quatre “héros malgré eux” de poursuivre leur odyssée initiatique. Comme le dit le vieil alchimiste à Santiago dans le roman de Paulo Coelho : “Lorsque vous voulez quelque chose, tout l’univers conspire à vous permettre de réaliser votre rêve“.
Ainsi, en dépit des obstacles semés sur leur chemin aveugle, les quatre enfants voient leur persévérance et leur courage récompensés. Ils accomplissent chacun à leur façon le voyage symbolique tracé par leur père visionnaire à travers les grands espaces désertiques. Ils sont en passe de devenir des êtres libres, habités par une force intérieure qui transcende leur handicap.

Un message d’espoir et d'humanisme

Plus qu’un simple conte merveilleux ou initiatique, le premier roman de Christine Bergougnous véhicule des valeurs humanistes et un message d’espoir qui font écho aux grandes œuvres du même genre. En filigrane de l’aventure des quatre enfants évoluant dans un Sahara hors du temps, affleure une réflexion profonde sur le sens de l’existence et la place de l’être humain dans l’univers.
Malgré le tragique de leur cécité et les épreuves traversées, leurs voyages à travers les dunes et les oasis du désert mauritanien – qui n’est pas sans rappeler La Conférence des oiseaux du célèbre poète soufi Farid al-Din Attar – symbolise le chemin intérieur que chacun est amené à parcourir pour trouver sa voie, et révéler le meilleur de lui-même. Tout comme le Petit Prince apprenait à “voir avec les yeux du cœur” au contact du Renard ou de la fleur, le périple initiatique des enfants aveugles les conduit à une forme de sagesse mystique. “Marchez, marchez, et vous verrez“, avait dit Sidi Mahmoud à ses quatre enfants…
Le roman de Christine Bergougnous, qui se lit comme un poème de Roumi, est ainsi une célébration de l’amour, de la fraternité et de la vie sous toutes ses formes. Son message profondément humaniste donne foi en la bonté essentielle de l’Homme et en sa capacité à transformer positivement son destin, même dans l’abandon. Une lueur d’espoir et de grâce qui contraste avec la noirceur de certaines réalités abordées. Du nord au sud, les dunes de sable blond et les plages autrefois vierges portent désormais les stigmates de l’exploitation effrénée des ressources naturelles, laissant entrevoir la silhouette fantomatique d’un pays meurtri qui, tel le sage endurant, espère encore la rédemption des hommes.

Les voies d’accomplissement du désert

Avec ce premier roman au souffle poétique inspiré d’une histoire vraie, porté par une plume fluide, sensible aux ambiances, l’ouvrage réussit à immerger le lecteur dans les grands espaces du désert mauritanien, acteur à part entière de ce conte merveilleux.
On ne peut enfin s’empêcher de rapprocher la quête spirituelle dépeinte dans Les yeux bleus du désert de celle qu’entreprit Tierno Bokar auprès d’un maître soufi aveugle qui l’initia à la mystique musulmane. À l’image du sage malvoyant qui guidera ses premiers pas, les rencontres initiatiques avec des âmes charismatiques semblent avoir joué un rôle décisif dans son éveil intérieur. De la même manière, le périple des quatre enfants aveugles à travers le désert mauritanien est jalonné par l’intervention de figures tutélaires qui les accompagnent avec bienveillance dans leur accomplissement spirituel. Et comment ne pas également penser au grand mystique soufi Ibn Arabi, le “Maître des Maîtres”, qui après son voyage dans le désert, a reçu les révélations divines qui ont nourri son oeuvre.
Comment ne pas penser à  la quête de Théodore Monod ?
Puissance initiatique du désert…

Porteur d’un message d’espoir qui élève les consciences, ce premier roman laisse présager le meilleur pour la suite de l’œuvre de Christine Bergougnous. L’auteure possède assurément un beau potentiel littéraire qu’elle saura exploiter dans ses prochains écrits. En attendant une éventuelle suite avec impatience, Les yeux bleus du désert comblera les amoureux de récits poétiques et de spiritualité.
Retirons surtout de cette lecture que chacun de nous, même privé de lumière, en entreprenant un voyage de  l’Occident vers l’Orient ou du Nadir vers le Zénith, sera toujours sur la bonne voie…

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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