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Claire Koç est journaliste à France Télévisions et à France Infos. Elle est née Cigdem (prononcez “tchidème”) dans une famille turque issue d’une minorité religieuse et qui émigre en France alors qu’elle est âgée d’à peine un an. Elle grandit à Strasbourg, épouse le mode de vie du pays de Voltaire et d’Hugo et se sent profondément française au sein d’une famille qui, elle, conserve les us, coutumes et la nostalgie du pays d’origine, fondue dans une communauté turque très importante en nombre, et l’une des plus endogames qui soient.
Le parcours que décrit Claire Koç est un parcours de combattante qui lutte contre vents et marées pour parvenir à réaliser son rêve d’intégration et de réussite professionnelle, qui franchit un à un les obstacles dressés sur son chemin par ceux qui voudraient la réduire à un lieu de naissance, à un pays d’origine, à une culture dans laquelle elle ne se reconnaît plus et dans un discours de victimisation dans lequel elle refusera toujours de verser. Ce parcours atteint son paroxysme symbolique en 2008 lorsqu’elle obtient la nationalité française qu’elle a demandée deux ans auparavant sans en parler à sa famille. À cette occasion, on lui propose de choisir un prénom “français” et c’est Claire qui lui vient spontanément, limpidement, comme une claire évidence, comme un passeport vers la vie rêvée dans le pays rêvé. Mais pour ses parents, ses frères comme pour ceux qui lui diront plus tard “t’as pas une tête à t’appeler Claire”, ce prénom est une insulte, “le prénom de la honte”.

C’est un livre poignant que ce témoignage sur l’intégration, bien loin de canons habituels de ce genre d’exercice, particulièrement parce que l’accusation portée pour non-assistance à personne souhaitant s’intégrer vise plusieurs accusés qui se liguent, sans se concerter, pour faire de l’assimilation une impossibilité française : il y a d’abord et avant tout la famille et la communauté d’origine, ceux qui répètent ad libitum à la petite fille puis à la jeune femme qui ne rêve que de France : “moi je n’oublie pas d’où je viens”. Ces parents, ces frères, ces voisins qui surveillent, interdisent, jugent, ostracisent et pour qui tout pas de côté par rapport aux sacro-saintes règles d’une bienséance, particulièrement étouffante pour les jeunes femmes, suscite la “honte” pour la famille entière. Ce carcan qui ne supporte ni le mariage hors communauté, ni l’ascension sociale forcément synonyme de trahison, Claire Koç l’a combattu de toutes ses forces avant de finir par le faire éclater pour enfin avoir le droit de vivre sa vie.

Mais il n’est pas le seul, selon elle, à avoir freiné son processus d’assimilation. Et l’autre accusée, l’autre mâchoire de l’étau refermé sur son rêve d’intégration, c’est la France elle-même : la France “Cocorico” bien sûr, celle obsédée par ses origines, la pureté de ses racines et qui milite pour une réclusion à perpétuité permettant d’exclure tous les venus de l’extérieur et qui risqueraient de pervertir la France éternelle. Nonobstant, jamais ce constat de l’a dissuadé d’entamer le processus d’assimilation. La charge la plus violente, Claire Koç ne la mène pas contre cette France du repli sur soi et de la xénophobie. Elle la réserve au contraire à “l’Internationale des bien-pensants qui éructe à chaque remise en cause du droit à la différence et favorise ainsi le développement d’un communautarisme mortifère”. Comprenez, à ne pas vouloir condamner les entorses régulières et de plus en plus fréquentes à l’unité républicaine, à toujours trouver des circonstances atténuantes à ceux qui vivent en France mais en refusent les règles de vie et les libertés les plus élémentaires, à prôner un universalisme qui finit par détruire l’idée même de communauté nationale pour lui préférer un agglomérat de communautés qui n’ont plus ni visée ni destin commun, la France a elle-même provoqué l’échec de l’assimilation en son sein.

En défendant ces thèses, en faisant de son récit beaucoup plus qu’un simple témoignage mais un véritable manifeste politique, Claire Koç sait qu’elle peut choquer et elle assume pleinement l’iconoclasme de son propos. Mais, celle qui a effectué une partie de ses études de journalisme à Montpellier témoigne aussi qu’une autre voie d’assimilation, d’intégration, de réussite en France pour ceux qui ne sont pas nés en son sein, reste possible : la voie de l’abnégation, du travail acharné et de l’obsession permanente à ne jamais renoncer à ses rêves.

Alain LLENSE
contact@marenostrum.pm

Koç, Claire, “Claire, le prénom de la honte”, Albin Michel, “Documents”, 10/02/2021, 1 vol. (201 p.),17,90€

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