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Benoît Christal & Gallagher Fenwick, 7 octobre 2023, Israël Gaza : l’affrontement des tragédies, Le Rocher, 17/01/2024, 1 vol. (207 p.), 17,90€

Avec 7 octobre 2023 – Israël Gaza, les journalistes Benoît Christal et Gallagher Fenwick nous plongent au cœur de ce qui est désormais la tragédie la plus meurtrière du conflit israélo-palestinien. Forts de leur expérience de grands reporters au Moyen-Orient, ils nous livrent un témoignage saisissant sur l’absurdité et l’horreur de cette guerre.
À travers une multitude de récits individuels déchirants, allant du survivant au soldat en passant par le médecin ou le négociateur, cet ouvrage documente le chaos sanglant déclenché par l’attaque terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre 2023. Au-delà du décompte macabre des plus de 1 200 victimes civiles israéliennes, et aujourd’hui à plus de 30 000 morts du côté Palestinien, les deux auteurs immergent le lecteur dans une expérience de “dé-sidération”.
Face à l’insensé, le devoir de comprendre et de témoigner s’impose. En donnant la parole sans fard à tous les acteurs, ce livre marquant esquisse les contours d’une tragédie aux multiples visages. Israéliens et Palestiniens y apparaissent à la fois comme deux peuples qui s’affrontent et s’ignorent, séparés par un fossé immense.

Un récit choral édifiant sur l'absurdité de la guerre

À travers la multiplicité des témoignages rassemblés, des survivants du massacre aux soignants en passant par les hommes en armes, cet ouvrage dresse un vivant tableau de l’absurde cruauté de la guerre. Qu’ils aient échappé de justesse à la folie meurtrière ou qu’ils en aient pansé les blessures, tous ces destins brisés convergent pour mettre en lumière le non-sens du conflit.
Au gré des récits qui s’enchevêtrent telles les voix d’un chœur antique relatant les affres de la tragédie, le lecteur est comme happé par la déraison de ce chaos sanglant. Elad Poterman nous fait revivre, minute par minute, l’effroi qui l’étreint lorsque les terroristes du Hamas font irruption chez lui. Le jeune photographe anonyme de Gaza, sitôt le cri de stupeur passé, nous entraîne au plus près des combats fratricides. Quant au docteur Ala Shatali, du sein même du plus grand hôpital de Gaza qu’assiègent les obus, il décrit avec effarement le calvaire des blessés que l’on ampute sans anesthésie.
Tous ces fragments de vies broyées, dessinant peu à peu la fresque d’un martyre collectif, sonnent comme un implacable réquisitoire contre l’absurdité de cette guerre fratricide. À l’instar du mythe de Caïn et Abel, la discorde semble avoir toujours cours entre ces deux peuples frères, Israéliens et Palestiniens. Et comme le prophétisait Albert Camus dans Le Mythe de Sysiphe : “Je disais que le monde est absurde et j’allais trop vite. Ce monde en lui-même n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c’est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme “.
En restituant toute l’horreur du chaos par ces récits entrecroisés, les deux journalistes réalisent un saisissant effet de choralité, qui éclaire crûment toute l’absurdité de cette guerre.

Une plongée saisissante dans les traumatismes individuels

En donnant la parole à celles et ceux qui ont vécu le drame dans leur chair, Benoît Christal et Gallagher Fenwick nous entraînent au plus près de destins brisés par le fracas de la guerre. Loin du fracas des bombes et de la froideur des bilans macabres, le récit se fait ici intime, humain, dessinant des portraits bouleversants de vies meurtries.
C’est dans le huis clos de la chambre forte aux côtés de son nourrisson que nous attendons, retenant notre souffle avec Elad Poterman, que les terroristes refluent enfin. La tension insoutenable qui l’étreint tandis que résonnent les hurlements à l’extérieur est comme palpable. Quant au jeune Yonatan Zeigen, c’est le cœur déchiré et l’âme en suspens qu’il nous confie ses ultimes échanges avec sa mère Vivian Silver avant qu’elle ne soit capturée par les forces du Hamas.
Comme autant de gouttes d’eau réfractant la lumière de mille feux, ces fragments d’humanité brisée diffractent le traumatisme collectif en une myriade de blessures intimes. En ce sens, chacune de ces histoires individuelles dit plus de la douleur de la guerre que tous les rapports et bilans du monde. Elles symbolisent aussi ce que le conflit a de plus universel : des êtres chers arrachés à leurs proches.
De la mère de famille Adi Efrat terrée chez elle à celle de Ahmed Alnaouq ensevelie sous les ruines, de l’ambulancier Awad Abd el-Al abattu en plein sauvetage au père de Rami Aboujamous disparu on ne sait où, toutes ces vignettes lacèrent le cœur et l’esprit. Difficile de ne pas être bouleversé en refermant ce livre, tant ces récits individuels résonnent en nous et nous renvoient à notre propre finitude.

Les enjeux géopolitiques et la responsabilité des dirigeants

Au-delà des portraits et des trajectoires individuelles, cet ouvrage propose également un éclairage précieux sur les ressorts géopolitiques du conflit israélo-palestinien. S’appuyant sur les analyses d’experts tels que l’ancien ambassadeur Michael B. Oren ou le général Yair Golan, les auteurs mettent en lumière les impasses stratégiques dans lesquelles se sont enferrés les dirigeants.
Avec acuité, Michael B. Oren souligne combien la politique israélienne visant à cantonner le Hamas à Gaza, en le laissant relativement prospérer dans son fief pour mieux le contrôler, fut une erreur tragique. Quant à Yair Golan, stratège réputé, il pointe le double échec, à la fois politique et militaire, qui a conduit au désastre du 7 octobre 2023.
Mais au-delà du constat, c’est aussi une véritable dénonciation de la responsabilité des dirigeants que porte cet ouvrage. Car derrière l’embrasement, se profile toujours en filigrane l’ombre des décideurs, depuis Benyamin Netanyahou jusqu’aux différents chefs du Hamas. En pariant cyniquement sur “la division pour mieux régner”, ils ont ouvert une boîte de Pandore bien difficile à refermer.
Avec une verve corrosive, Nasser al-Qudwa brocarde ainsi ces “hommes politiques [qui] n’ont jamais eu la vraie volonté de trouver une solution juste“. Quant à Gershon Baskin, fin connaisseur des arcanes du conflit, il pointe sans ambages la responsabilité de Netanyahou, qui a “choisi de nouer une alliance objective avec des hommes dont les visages se dessinent derrière tout cela“.

Une lueur d'espoir ? Les "combattants de la paix"

Au cœur des ténèbres de ce chaos meurtrier, brillent çà et là quelques lueurs d’espoir, portées par ces voix qui s’élèvent encore pour appeler à la paix. Malgré la noirceur ambiante, ces inlassables combattants essaient de se faire entendre, en dépit des vents contraires.
C’est le cas du sage Gershon Baskin qui, forte de son expérience des tractations pour obtenir la libération de soldats, appelle inlassablement à “la paix nécessaire ». Dans le fracas de l’acier et le torrent des larmes, Yair Golan porte, lui, un message de résilience et d’unité du peuple israélien. Quant au stoïque Nickolay Mladenov, chevronné diplomate, il croit dur comme fer à une solution négociée par la communauté internationale.
Tous en appellent, chacun à leur manière, à un sursaut politique pour sortir de l’inextricable nœud gordien dans lequel le conflit s’est enferré. Loin des guerres intestines au sommet du pouvoir, ces voix discrètes mais obstinées symbolisent “l’étincelle qui continue à briller, même dans la nuit la plus profonde”, pour reprendre une formule chère à Victor Hugo.
Certes, leur lutte pacifiste semble bien dérisoire face aux bruits de bottes et de sirènes. Mais qui sait si le vent ne tournera pas ? Qui sait si ces porteurs d’espoir ne sont pas déjà en train de semer les germes de la réconciliation de demain ? Comme l’écrivait Martin Luther King, “l’arc de l’univers moral est long, mais il penche vers la justice”. Nul doute que ces inlassables combattants de la paix tiennent là leur plus indéfectible raison de croire et d’espérer en des lendemains de paix.

Un échec collectif

Avec 7 octobre 2023 – Israël Gaza, les deux auteurs signent une plongée saisissante au plus profond de cet  abîme très sombre qu’est devenu le conflit israélo-palestinien. À travers un foisonnant kaléidoscope de trajectoires brisées, ils parviennent à capter toute la complexité de cette tragédie, de l’intime des douleurs individuelles jusqu’aux froides stratégies géopolitiques. En faisant résonner ces voix qui s’entrechoquent, habitées par une colère aussi vive que désespérée, cet ouvrage marquant nous rappelle combien la folie guerrière témoigne de notre échec collectif. Mais ce livre se veut aussi un rempart contre l’oubli, pour que le sang versé ne l’ait pas été en vain.

À défaut d’être prophètes en leur pays, que Benoît Christal et Gallagher Fenwick soient donc au moins nos mémoires. Celles de destins meurtris qui symbolisent toute l’absurdité du monde. Si cet ouvrage poignant ne dessine pas encore le chemin de la paix, il a au moins le mérite d’en garder vivace la nécessité.

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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