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Une précision d’importance, en liminaire. Somme aussi ambitieuse que cohérente, ce « Dictionnaire Jésus » tient toute sa crédibilité de l’institution même qui l’a diligenté.
Fondée en 1890 par le père Marie-Joseph Lagrange, « L’École Biblique de Jérusalem » a rompu, d’emblée, avec une longue tradition d’enseignement théologique. Sitôt installés, ces pionniers dominicains s’étaient ainsi fixés un objectif. Pour éclairer l’étude biblique de l’intérieur, il fallait la pénétrer par une connaissance scientifique du milieu humain, là où elle avait été vécue, parlée, écrite.
« S’il y a une histoire du salut, il y a aussi une géographie du salut », soulignait à ce propos l’un des premiers directeurs de l’École. Et puisque Dieu avait parlé aux hommes d’un certain pays, avec les langues de leur temps, selon la culture de leur temps, il fallait donc étudier la géographie de la Terre sainte, l’histoire ancienne du Proche-Orient et l’archéologie pour raccorder l’Écriture à son contexte.
Cela revenait à faire une lecture appropriée des diverses sources hébraïques, de l’Ancien Testament notamment, comme s’y est attelé le père Lagrange. Et c’est dans ce même esprit qu’a œuvré l’un de ses prestigieux successeurs le père Renaud Silly dans ce « Dictionnaire Jésus ». « Une façon de ne pas se contenter de replacer Jésus en son temps comme on le disait jadis, mais d’évoquer la personne du Christ, fils de Dieu en son peuple juif », commente-t-il.
Entreprise originale et des plus délicates cependant, car au cœur de sa brève existence terrestre, Jésus s’est explicitement offert comme une énigme, tel que le remarquent les pères dominicains dans la préface. Qu’elles lui soient, en effet, adressées par Paul sur le chemin de Damas ou par Jean-Baptiste, les questions de « Qui es-tu Seigneur ? » ou « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » témoignent bien de ce mystère d’identification du Messie.

Dans la dernière partie de leur préface « L’homme et Dieu en miroir », les auteurs posent ainsi avec acuité la plus grande interrogation de Jésus, « Pour vous, qui suis-je ? » La question du Christ fait de sa propre identité la matrice de toute réflexion authentique, soulignent-ils en développant leur pensée. En pédagogue ironiste, par ses paroles, ses actions et ce qu’il était lui-même, Jésus cherchait à faire émerger les questions les plus secrètes de ceux qui le recevaient, leur permettant de traduire en mots leur vérité individuelle.
Si l’identité de Jésus est l’énigme suprême, alors nul n’accède au mystère de sa propre individualité, sans apporter une réponse qui le mobilise totalement. Car le miroir de Jésus n’est pas tendu seulement vers les hommes. Jésus réfléchit non seulement leurs questions et leurs problèmes immanents. Il donne à voir aussi la transcendance de Dieu. Il est le miroir par qui l’invisible se donne à voir.

Débroussailler cette énigme, tel était donc le pari intenté et brillamment réussi par ce collectif de chercheurs qui en décortiquant le corpus néotestamentaire comme la tradition orale de la Mishna éclairent d’un regard neuf la personnalité de Jésus. Un collectif d’une vingtaine d’auteurs français, belges, israéliens et américains, tous formés à un rigoureux domaine scientifique, qui apporte autant de pertinence que de sérieux à l’immensité du projet accompli.
Pour ce faire, tous les acquis linguistiques, anthropologiques et exégétiques ont été pris en compte à l’image du premier terme « Abba » figurant dans cet abécédaire. Si nombre d’exégètes ont longtemps associé ce mot araméen à celui de « papa » tel qu’exprimé par un enfant, les auteurs le réfèrent davantage à un vocabulaire adulte comme Dieu même l’emploie, « Je voulais que mon père (abba) du ciel éprouvât Job. »
Dans un autre registre, l’ouvrage recense avec maintes précisions les similitudes existantes de certaines dénominations. Comme celle très détaillée du Notre Père dans ces divers versets, en grande partie calquée sur la prière juive traditionnelle du Qaddish. Ou la forme du rituel de l’Eucharistie s’inspirant étroitement des bénédictions juives de la table ainsi que le sens profond des Béatitudes où l’intériorité de Jésus s’accorde avec certains écrits de Qumrân. Autant d’étroites références avec les chapitres de la Torah, (du Deutéronome et du Lévitique particulièrement) qui ne font pas oublier les explications propres aux quatre évangiles.
Ainsi, s’attardera-t-on avec intérêt sur les paraboles du « Fils prodigue » ou du « Bon grain et de l’ivraie » dévoilant le dérisoire de la justice individuelle comparée à la sainteté de Dieu. Pêle-mêle également, le lecteur appréciera la correspondance des psaumes avec les étapes de la Passion ainsi que les cartes des lieux et l’abondance des références aux textes anciens.
Soit de A à Z, plus d’un demi-millier d’entrées analytiques alternant des lieux célèbres (Emmaüs, Béthanie), comme des personnages de premier plan (Marie-Madeleine, Flavius-Josèphe) ou des caractérisations comme celle de la Divinité de Jésus toutes aussi instructives que remarquablement étayées.
En résumé, un « Dictionnaire de Jésus » des plus fouillés et des plus novateurs qui comblera les moins initiés comme les spécialistes des origines de la chrétienté.

École biblique et archéologique française, « Dictionnaire Jésus », édition établie sous la direction de Renaud Silly, Éditions Bouquins, « La collection », 15/04/2021, 1 vol. (XXXVI-1274 p.), 32,00€

Michel BOLASSELL
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