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Documentalité. Pourquoi il est nécessaire de laisser des traces. Maurizio Ferraris

Un premier constat en liminaire. Pour étayer ses travaux philosophiques, le professeur Maurizio Ferraris n’est pas davantage avare de néologismes que de propos les plus basiques. Ainsi pour la « Documentalité » et « La Postvérité et autres énigmes » – titre d’un récent ouvrage – l’auteur prend soin à se rendre le plus explicite possible en évoquant, soit le large concept d’objets sociaux : « l’argent, les gardes alternées, les syndicats et les chevaliers médiévaux… » dans le présent essai, ou la perception d’une « neige que chacun s’accordera à trouver blanche, jaune ou rouge », selon sa façon de décrire le réel.           
Une volonté d’accessibilité pour un sujet d’apparence facile qui s’avère, en fait, d’une grande complexité. Car s’il paraît « nécessaire de laisser des traces », comme l’indique l’auteur dans le sous-titre du livre, il est plus délicat de s’interroger sur l’idéalisation et la psychologie des choses, œuvres, documents et inscriptions qui orchestrent les souvenirs et les pensées.      
Tout ce sur quoi repose la mémoire et donne une place centrale à la « documentalité », devenue chaque jour plus indispensable avec l’utilisation massive du numérique et d’internet. Ce qui fait dire au philosophe italien :

Un homme qui ne posséderait ni langage, ni mémoire, c’est-à-dire qui serait privé d’inscriptions et de documents, pourrait difficilement cultiver des ambitions sociales, il ne saurait à quoi aspirer.

C’est cette priorité de la lettre sur l’esprit qui innerve tout l’ouvrage selon un mode d’emploi scindé en cinq grands chapitres, parmi lesquels le volet Ontologie-Epistémologie, est à nos yeux, le plus captivant.     
Directeur d’un laboratoire d’ontologie à l’université de Turin, Maurizio Ferraris sait assurément de quoi il parle lorsqu’il distingue l’épistémologie « comme sphère du savoir » de l’ontologie « comme sphère de l’être ». Et sa capacité à rendre ce distinguo intelligible au plus grand nombre est d’une grande limpidité. L’idée de fond est fort simple, explique-t-il : « Pour dire que l’eau est H2O, il faut posséder des théories, un langage, alors que l’on n’a besoin d’aucun de ces éléments pour boire un verre d’eau ou constater que l’eau est transparente. »
En confrontant les différences essentielles du monde intérieur de l’épistémologie au monde extérieur de l’ontologie, et les conséquences qui en découlent, l’auteur met en lumière l’essence même de la réalité sociale. À savoir, la place irremplaçable que tiennent les archives et les documents dans la vie des personnes et des sociétés. Surtout face à l’explosion des nouveaux systèmes d’enregistrement et d’écriture qui ont radicalement modifié nos comportements comme les manières de travailler.      
Un essai aussi décapant qu’innovant.

Maurizio Ferraris est professeur ordinaire de Philosophie théorique à l’université de Turin, où il dirige le Laboratoire d’ontologie. Il a écrit une cinquantaine de livres, traduits en plusieurs langues, dont : « T’es où ? Ontologie du téléphone mobile » ; « Manifeste du nouveau réalisme » ; « Goodbye Kant ! » ; « L’imbécillité est une chose sérieuse » ; « Mobilisation totale et Émergence ».

Michel BOLASSELL
contact@marenostrum.pm

Ferraris, Maurizio, »Documentalité », Le Cerf,14/01/2021, 1 vol. (496 p.), 29,00€.

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