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Bruno de Stabenrath, La jeunesse du monde : le destin brisé de Gauthier et Vincent Malraux, Denoël, 28/02/2024, 1 vol. (466 p.), 23€

Tout le monde connaît André Malraux, son combat durant la guerre civile aux côtés des républicains espagnols, ses engagements anticolonialistes mis en scène dans son grand roman La condition humaine (prix Goncourt 1933), sa lutte dans la Résistance aux côtés du Général de Gaulle dont il deviendra par la suite le ministre. Tout le monde garde en tête la vibrante oraison funèbre adressée à Jean Moulin lors de son entrée au Panthéon, mausolée des hommes illustres dans lequel les cendres de Malraux seront à leur tour transférées en 1996, vingt ans après sa mort. André Malraux incarne mieux que nul autre la figure de l’intellectuel engagé, avec en prime dans son parcours un romanesque parfum d’aventure et de scandale, notamment dans une affaire de trafic d’antiquités à Angor, en Indochine, où il a séjourné en 1924. Sa vie privée toutefois demeure largement méconnue. Il eut notamment deux fils d’une liaison avec la romancière Josette Clotis, rencontrée, en 1933, alors qu’il était déjà marié à Clara Goldschmidt et tuée par un train alors que ses enfants étaient encore en bas âge… Deux fils, à leur tour tragiquement emportés par un accident de voiture, à l’âge de dix-huit et vingt ans. Un drame dont Malraux ne se remettra jamais tout à fait. C’est cette histoire que Bruno de Stabenrath propose de redécouvrir dans un passionnant roman qui brosse le tableau d’une époque toute en contrastes, entre rock-and-roll et angoisses liées à la Guerre Froide et aux « événements » d’Algérie.

Un roman en forme d’enquête

Le roman s’ouvre par un récit à la première personne où le narrateur adolescent, en vacances avec sa famille à Port-Cros, en juillet 1968, entend parler pour la première fois des fils Malraux. C’est sur cette île au large d’Hyères qu’ont séjourné sept ans plus tôt Vincent et Gauthier Malraux, pour leurs ultimes vacances, puisque c’est en remontant à Paris à bord de leur Alfa Romeo Giuletta Sprint, qu’ils ont trouvé la mort en percutant un arbre, sur la nationale 6, à une vingtaine de kilomètres de Beaune. Le narrateur sera de nouveau confronté à cette tragique histoire quelques années plus tard, alors qu’il fait ses études dans la capitale. Par le biais d’une amie connue à Port-Cros, il va croiser la route de Fabiola Guzman qui a été autrefois la petite amie de Vincent Malraux. La femme travaille comme attachée de presse pour Pierre Bergé et ne se montre guère disserte sur ses souvenirs. Toutefois cette rencontre servira de point de départ à un long flash-back qui replonge le lecteur en 1961, dans les mois qui ont précédé l’accident fatal.

Un contexte politique troublé

Bruno de Stabenrath fait revivre avec beaucoup de talent l’atmosphère de cette époque. Passionné de musique, il évoque les tubes rock et yé-yé sur lesquels dansaient les Français en cette année 1961. Dans le sillage des enfants Malraux, on croise aussi de nombreux artistes. Les fils du ministre connaissent en effet une jeunesse dorée, où ils fréquentent aussi bien les clubs à la mode que l’opéra où se produisent le Kirov et le danseur soviétique Rudolf Noureev sur le point de passer à l’Ouest. Mais être fils de ministre expose aussi à susciter l’intérêt de personnages troubles, comme ce Serge d’Orzabal qui se lie d’amitié avec Vincent pour des motifs bien peu avouables. En effet, on découvrira qu’il s’agit d’un membre de l’OAS en mission pour assassiner « Cyclope », nom de code donné au Général de Gaulle… Dans le contexte troublé de la guerre d’Algérie, alors que se prépare une visite à haut risque du président Kennedy, André Malraux n’a pas beaucoup de temps à consacrer à ses enfants. A vrai dire, il n’a jamais été un père très présent :

Depuis son enfance, Vincent souffrait d’avoir un géniteur inaccessible et insensible à ses souffrances d’orphelin. Au fil des déceptions et des rancœurs, il avait tranché le fil d’Ariane, celui d’un fils dévoué à son père. Il s’était fait une raison : comprendre le ministre Malraux ? Autant se perdre dans un labyrinthe en attendant d’être dévoré.

Le roman de Bruno de Stabenrath, mené tambour battant, est un magnifique hymne à la jeunesse qui, même si l’on en connaît d’avance l’issue tragique, se dévore comme un roman policier. Le lecteur se laisse happer par ce tableau d’une époque de mutations, aux côtés de deux jeunes garçons attachants, pleins de rêves et d’espoir, qui cherchent leur place à l’ombre du géant qu’était leur géniteur.

Image de Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

jeanphilippeguirado@gmail.com

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