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Bien avant le surgissement des nouvelles communautés mêlant laïcs et religieux, issues du mouvement charismatique en France, un type de communauté religieuse, composée uniquement de laïcs, et en rupture avec l’Église catholique, a vu le jour il y a trois siècles. C’est sur cette communauté, désignée par le terme de « famille » que l’auteur de ce livre, Étienne Jacob, a mené une enquête minutieuse, dans le prolongement de ses articles pour le Figaro, auxquels il se réfère parfois.

Son enquête le conduit à tenter de cerner quelles ont pu être les sources religieuses de cette communauté, pour comprendre dans quelle mouvance elle s’inscrit. Il consacre les premiers chapitres de l’ouvrage aux jansénistes, aux convulsionnaires et aux bonjouristes, dont les convictions et les croyances lui paraissent proches, avec un certain nombre de nuances toutefois, de celles de « La famille ». Enfin, il revient à la fondation de celle-ci, en montrant comment elle s’est perpétuée au fil des ans, par le biais d’innombrables naissances venues compenser l’absence de prosélytisme. Les nouveaux membres sont issus de cette grande famille, qui se concentre dans quelques arrondissements parisiens, et de rares sites en province.
L’auteur se focalise ensuite sur des points particuliers, comme celui des mariages consanguins, (« La Famille » exclut volontairement l’exogamie et rejette de son sein ceux qui la pratiquent), qui ne passent pas par l’état-civil car la loi les réprouve. Il en montre les effets, certains sans conséquences comme le maintien d’un nombre restreint de patronymes, et d’autres plus graves, liés aux risques que présente la consanguinité : nombre alarmant de maladies ou de handicaps, d’autant que « La Famille » refuse la détection de certains, comme la trisomie 21, et l’avortement. Les familles ont un nombre élevé d’enfants (et des aides sociales). Seuls les hommes travaillent, la fonction des femmes se réduisant à mettre les enfants au monde ou à tenir une maison. On leur concède quelques travaux de couture et de retouches, mais dans « La Famille », il est rare que l’on poursuive des études longues, même si l’auteur constate quelques nuances avec les jeunes générations. L’idéal de vie de la communauté est centré sur la prière, le travail, manuel de préférence, la solidarité du clan, le soin accordé aux personnes âgées, la simplicité et la modestie. On note en revanche que le racisme, la xénophobie et l’homophobie confortés par un système de valeurs ultra-conservateur, y sont monnaie courante. Les valeurs familiales reposent sur une fermeture au monde, fondée sur une forte suspicion (on apprend aux enfants qui vont à l’école à se méfier de l’extérieur) et l’absence de distractions. Les loisirs, sports, jeux, se déroulent dans le cercle familial, qui se regroupe à l’occasion de fêtes. Ce qui vient du dehors est forcément mauvais. Si les enfants sont scolarisés, ils ne se mélangent pas aux autres, dont ils sont très différents. Mais, en raison d’une éducation très stricte, axée sur l’humiliation et les châtiments corporels, ils se comportent, comme les adultes d’ailleurs, avec la plus grande politesse, et ne génèrent aucun problème.

Outre ces violences, qu’ont évoquées certains membres dissidents, l’auteur du livre pointe l’inégalité entre hommes et femmes, les cas d’inceste, favorisés par la promiscuité, et la propension des hommes pour l’alcool. Ceux qui ont quitté « La Famille » en sont exclus. Il est très difficile de réintégrer le clan ensuite. Mais si tout n’est pas négatif : il existe une grande solidarité familiale qui met chacun des membres à l’abri du besoin, ce système les contraint aussi à vivre en autarcie. De même, le soin apporté aux aînés se confronte aussi au refus de soins médicaux dans certains cas, qui met les personnes en danger de mort. La jeunesse, qui apparaît en décalage avec celle de l’extérieur du groupe, est visiblement sacrifiée.
L’auteur s’est penché enfin sur la création de communautés, dont certaines, mais pas toutes, ont constitué des échecs, comme Pardailhan ou Malrevers, calquées sur le modèle des kibboutz. Il explique les raisons de leur échec ou de leur réussite, en particulier le rôle joué par l’économie, et les ravages sur la relation entre enfants et parents. Il pose enfin, dans le dernier chapitre, une question fondamentale : « s’agit-il ou non d’une secte ? « , et donne la réponse en fonction des critères définis par le rapport Guyard, qu’il joint en annexe.

Cette enquête fascinante de Étienne Jacob nous éclaire sur cette communauté, longtemps méconnue du grand public. Sur cette utopie qui perdure, avec sa dimension totalitaire, le journaliste pose un regard critique mais dénué de malveillance. Il essaie d’en comprendre le fonctionnement en interrogeant ceux qui y restent, comme ceux qui s’en sont détachés. Avec justesse et objectivité, il en explore les différents aspects sans céder à la tentation de la condamnation totale. Son propos nuancé relaie la voix des victimes de cette étrange famille qui ont osé briser l’omerta.

Marion POIRSON-DECHONNE
articles@marenostrum.pm

Jacob, Etienne, « Enquête sur la Famille, une mystérieuse communauté religieuse », Le Rocher, « Enquête », 29/09/2021, 1 vol. (219 p.), 17,90€

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