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Gustave Courbet est la clé de ce roman. “L’Origine du monde”, tout est là. Dans le premier poème des “Fleurs du Mal”, Charles Baudelaire écrivait : “Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères où mon ventre a conçu mon expiation”. Ce ventre créateur est à l’origine. À l’origine de toute vie, de tout génie, de tout fléau. Miraculeux, puissant, et pourtant dénigré, exploité, soumis. Avec “L’ensaignement”, Jean-Philippe de Tonnac nous offre la vision du monde féministe qui manque cruellement à cette société. Il pose un regard admirateur, timide, sur un phénomène biologique qui touche chaque femme.

Du sang pour du sang. Je me suis toujours demandé si la passion pour la guerre et le sang répandu ne vient pas de cette frustration première. Si le sang leur coulait chaque mois entre les jambes, auraient-ils besoin de la guerre ?

Sous la forme d’une retraite en Crète, au sein d’un domaine qui revêt la forme d’un phalanstère, le narrateur s’engage dans un voyage initiatique qui a pour objet central le sang menstruel. Tel le phénix qui renaît de ses cendres sur le mont Qâf, montagne sacrée d’où les djinns trouvent leur origine, la force créatrice des femmes se renouvelle. La femme est célébrée, son savoir ancestral est recherché, préservé. Le domaine de Labrys est un lieu sûr. On s’y libère, renouant les liens avec notre soi premier, le soi instinctif, le soi humain.
Dans un monde où le sang menstruel est traité comme une marque sale, un tabou que l’on ne veut pas aborder, qui rend la femme indigne, “L’ensaignement” rend au sang sa dignité, son sacré. Il est d’ailleurs assez ironique que le seul sang dont on ait honte, soit ce sang innocent, celui qui ne tue pas ; alors que nous nous couvrons de gloire, recouverts du sang des champs de bataille. Labrys a pour but de soigner, de panser les plaies de tout une société qui rabaisse ses femmes, alors qu’elle encense ses guerriers.

Labrys est ce cozco, l’omphalos des anciens grecs, par lequel nous expulsons de nos êtres toutes les blessures que nos civilisations, que notre espèce, s’infligent à elles-mêmes. La terre crétoise les recueille, les transforme. Au cœur des ténèbres, germe la graine.


Ce roman nous pousse dans nos plus profonds retranchements. Il nous force à faire face à nos préjugés, aux faux enseignements dont on nous a abreuvés, et il nous incite à partir à la recherche d’un “ensaignement” plus primitif, à la “Prisca sapienta”. Le chemin est long, les obstacles nombreux. Pour les hommes, la tâche est d’autant plus dure. Ils sont aveuglés par leur masculinité toxique, leurs préjugés sexistes insufflés dès l’enfance. Le narrateur tombera-t-il dans le piège ? Plein de bonnes intentions, ses instincts violents resurgiront-ils dans un monde où seul le sang innocent a le droit de couler ? “L’ensaignement” est une découverte unique. Un livre qu’à ce jour aucun homme n’avait jamais osé écrire. La finesse et le lyrisme de l’écriture de Jean-Philippe de Tonnac font de ce roman une œuvre d’art. Une “Origine du monde”, tachetée de sens.

Éliane BEDU
articles@marenostrum.pm

Tonnac, Jean-Philippe de,”L’ensaignement”, G. Trédaniel, 28/10/2021, 1 vol. (288 p.), 18€

Jean-Philippe de Tonnac est écrivain, essayiste et éditeur. Son roman “Azyme” chez Actes Sud a obtenu le prix “Écritures & Spiritualités 2017”. Il est notamment l’auteur de “René Daumal, l’archange” (Grasset, 1998) ; avec Anne Brenon de “Cathares : la contre-enquête” (Albin Michel, 2008) ; avec Frédéric Lenoir de “La mort et l’immortalité – Encyclopédie des savoirs et des croyances” (Bayard, 2004) ; avec Roland Feuillas de “À la recherche du pain vivant” (Actes Sud, 2017). Il est éditeur pour la collection “Bouquins” (Robert Laffont), collabore régulièrement au “Monde des religions”, au site littéraire de Mare Nostrum. Il enseigne à l’Institut des hautes études du goût à Reims, et au Cordon Bleu à Paris.

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