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Toulon 1944. Au moment de la Libération, trois hommes : Louis, Eugène et Jean sont face à leur destin. Alors qu’ils sont innocents, ils sont accusés d’être des collaborateurs par des résistants de la dernière heure, souvent les plus troubles et les plus zélés.
Au travers de l’histoire de Louis, homme simple, Corse d’origine, installé en Provence à l’issue de la Première Guerre mondiale à laquelle il a participé, l‘auteur nous décrit les vies à la fois banales et complexes, mais aussi les passions et les tragédies des petites gens dans un quartier populaire de Toulon, pendant l’Occupation et à jusqu’à la Libération. Il nous donne des indications sur le parcours des uns et des autres dans la période qui précède, et il les amène jusqu’à ce moment dramatique de l’épuration.
Ce livre est un roman historique. Au début du conflit, Philippe Pétain est honoré comme le vainqueur de Verdun et les gens lui sont reconnaissants d’avoir mis fin aux hostilités. Les rangs de la Résistance grossissent à partir de la mi-1944, lorsque l’issue du conflit ne fit plus aucun doute. L’épuration est alors une période d’autant plus trouble qu’elle est sauvage.
Certains qui n’ont comme seul haut fait que leur inaction face aux occupants allemands, s’érigent en justiciers implacables, obtenant une reconnaissance imméritée. D’autres, qui n’ont pas grand-chose de grave à se reprocher, sont tragiquement emportés par le tourbillon de l’Histoire. La foudre des épurateurs s’abat sur un jeune homme dont le seul tort est d’avoir des pratiques sexuelles considérées alors comme déviantes ou sur des femmes qui ont eu relations avec des soldats allemands, par amour ou par intérêt. Une façon ou une autre de survivre, qui peut juger ?
Comme c’est souvent le cas dans de telles circonstances, les convictions des uns et des autres sont fluctuantes au gré des évènements. C’est ce que Louis constate :

… des miliciens, parlons-en. Tu veux que je te dise qui vient de rejoindre l’armée de libération qui a débarqué il y a un mois ? Les escrocs de première qui ont jeté leur uniforme et qui s’engagent pour échapper aux arrestations, c’est la grande lessiveuse qui a démarré. Tiens, j’ai croisé tes amis, Geronimi et Bona, oui ceux de la milice, l’autre jour, ils avaient changé leurs habits gris contre des verts tout neufs, ils étaient habillés comme des Américains …

Ce récit, au style direct et instinctif, respire l’authenticité, ce qui n’est pas étonnant car Gilles Zerlini est lui-même corse, et il a passé son enfance dans un quartier populaire de Toulon.
L’auteur, qui fut autrefois berger, puis chanteur de rock, est un écrivain réaliste influencé par son parcours entre Corse et Provence. Mais si l’on sent parfaitement sa « corsitude » dans son ouvrage, il aborde des thèmes universels. Sa réflexion dépasse une région ou une île : le prix payé par les pauvres gens lors des conflits, les vies difficiles des prostituées ou de ceux qui ont une vie sexuelle particulière, les convictions variables en fonction du contexte, l’opportunisme de certains, les erreurs des uns et des autres qui ne sont souvent que des moyens de survivre.
On ressent aussi que l’auteur regrette cette façon de vivre qui n’existe plus :

L’espace public était autrefois bien plus investi qu’aujourd’hui, l’urbanité était un mode de vie, une part du corps de chacun. Pour s’asseoir, boire ou subvenir à ses besoins, il n’était pas nécessaire de commander un café médiocre à une terrasse étalée sur une place privatisée par des limonadiers sans scrupule ; il y avait des bancs, des fontaines, des arbres et des vespasiennes, des jeux pour les enfants, des bassins pour les poissons rouges, de l’ombre douce et du soleil, des allées de terre battue et les chiens chiaient là où ils voulaient. La vie s’étendait au dehors des maisons, que d’aucuns nomment désormais des appartements.

La photo de couverture qui représente une rue de Toulon reflète parfaitement l’ambiance qui imprègne le récit. Gilles Zerlini porte un regard lucide sur une période troublée, au sein d’une fresque incisive et nostalgique. La lecture de cet ouvrage nous transporte dans un monde disparu, et elle nous donne matière à réflexion sur l’éternelle duplicité de la nature humaine et de la société…

Robert MAZZIOTTA
articles@marenostrum.pm

Zerlini, Gilles, « Épuration », Maurice Nadeau, 09/04/2021, 1 vol. (155 p.), 18,00€

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