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Singulière postérité que celle de Louis XVI dont la mort restera à jamais bien mieux connue que la vie ! On ne divulgâchera aucun suspense en disant que le roman, comme l’existence du monarque se termine au pied de l’échafaud. Ce qu’il reste à découvrir est plutôt ce qui se déroule en amont de cette matinée fatale de janvier 1793, avant la fuite à Varennes, bien avant même les premiers soubresauts de la Révolution française qui ont fait l’objet d’une si féconde littérature.
Gérard de Cortanze revient sur un épisode méconnu et pourtant porteur de belles promesses romanesques : le voyage effectué par le roi en Normandie, au début de l’été 1786. Si certains monarques qui l’avaient précédé étaient toujours par monts et par vaux, ce n’était pas le cas de Louis XVI. Le voyage officiel qu’il effectua pour visiter la base navale de Cherbourg dont il avait ordonné la construction fut en effet le seul de tout son règne. Âgé de 31 ans, le monarque n’a encore jamais vu la mer, et c’est avec un émerveillement presque enfantin qu’il quitte Versailles contre l’avis de ses ministres qui cherchent à le détourner de son projet.
Le roman dépeint un Louis XVI plein de simplicité et d’humanité, ravi de s’éloigner de la Cour et de ses cabales, nid de vipères où il n’a jamais réussi à trouver sa place :

Cela durait depuis l’enfance, où l’Étiquette et la Cour avaient muselé sa vie. Avant d’agir, de penser, avant de vivre tout simplement, un prince n’est qu’un figurant. Louis, devenu roi, l’était resté.

L’auteur restitue à merveille cette mélancolique solitude du pouvoir. Il décrit le mépris à peine voilé de la noblesse pour ce monarque jugé simplet et frustre en raison de son désintérêt pour les fastes de la monarchie. Gérard de Cortanze insiste sur la relation entre Louis XVI et le capitaine Laroche, le concierge de la Ménagerie royale, qui fait partie du voyage. Laroche, détesté des Grands du royaume, qui le jugent aussi puant que les bêtes qu’il élève, est le seul à qui le roi se permet de confier ses états d’âme :

Sous Louis XIV, la Cour était un instrument de domestication des nobles, à présent elle est devenue le symbole de leur domination. C’est bien simple, Laroche, je ne règne plus sur eux, je leur obéis !

À chaque étape de son périple, Louis XVI va au-devant des petites gens. Au milieu d’une route de campagne, il descend de son carrosse pour écouter les doléances d’une pauvre paysanne ; à l’auberge où le convoi s’immobilise, il refuse le festin qu’on lui a préparé et demande à manger les mêmes mets que les clients ordinaires. Même si son attitude fait grincer les dents des aristocrates qui l’accompagnent, il ne manque aucune occasion d’écouter ce que ses sujets ont à lui dire :

C’est à cela que devaient servir ce voyage normand et ceux qu’il entreprendrait après lui : à écouter son peuple, sans intermédiaires, et pourquoi pas à transformer cette monarchie traditionnelle en une sorte de démocratie royale présidée par un souverain vertueux ?

“Le roi qui voulait voir la mer” nous fait également découvrir un souverain éclairé, passionné de géographie et d’explorations maritimes. Louis XVI, que ses détracteurs ont dépeint comme un homme inculte qui n’aimait que la chasse et la serrurerie, était en réalité bien plus érudit que ne pouvaient le laisser croire ces caricatures. Chaque fois qu’il retrouve le silence de sa chambre, on voit le roi studieusement plongé dans un livre. Anglophile, il entreprend même la traduction d’ouvrages sur l’Histoire britannique. En 1785, Louis XVI a joué un rôle actif dans l’établissement de l’itinéraire de la mission de La Pérouse autour du monde. Une fois arrivé à Cherbourg, sur le bateau qui lui permet de découvrir les gigantesques fortifications de la rade, le souverain est dans son élément et surprend les marins par l’ampleur de ses connaissances en matière de navigation. De nombreux chapitres décrivent avec beaucoup de poésie la mer et l’effet qu’exerce sa contemplation sur la psyché humaine. À la fin du voyage, le regret de Louis est grand lorsqu’il lui faut reprendre le chemin de Versailles, synonyme d’intrigues et de faux-semblants. Dans une lettre authentique adressée à Marie-Antoinette, il écrit :

L’amour de mon peuple a retenti jusqu’au fond de mon cœur : jugez si je ne suis pas le plus heureux roi du monde.

Parenthèse enchantée avant les orages de l’Histoire qui s’annoncent, le roman de Gérard de Cortanze a réussi son pari de nous offrir le portrait sensible de ce roi heureux.

Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm

Cortanze, Gérard de, “Le roi qui voulait voir la mer”, Albin Michel, “Romans français”, 29/09/2021, 1 vol. (242 p.), 19,90€

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