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Maëlle Guillaud, Et mes jours seront comme tes nuits, Le Livre de poche, 21/06/2023, 1 vol. 7.90€. 

Dans le vaste panorama de la littérature contemporaine, rares sont les œuvres qui parviennent à conjuguer avec autant de finesse l’intensité de l’amour et la dureté de l’enfermement. Et mes jours seront comme tes nuits, le dernier roman de Maëlle Guillaud qui vient de paraître en Livre de poche, se distingue par sa capacité à tisser ces deux fils en une trame narrative d’une rare profondeur. Ce roman, qui explore avec une sensibilité aiguë et une empathie palpable les tourments de deux âmes en quête de liberté, tant physique qu’émotionnelle, est une véritable odyssée de l’amour à travers les barreaux.

Un amour transcendant à travers les barreaux

L’histoire d’Hannah et Juan, deux êtres unis par un amour transcendant, mais séparés par les murs d’une prison, est une exploration poignante de la condition humaine. Cet amour, bien que puissant et profond, est constamment mis à l’épreuve par les barrières physiques et émotionnelles qui les séparent. Hannah, une flutiste talentueuse, est une femme qui a toujours été guidée par sa passion pour la musique. Sa vie est un mélange de notes et de mélodies, un monde où elle trouve du réconfort et de l’inspiration. Elle perçoit un écho à sa mélodie intérieure dans le cœur de Juan, un artiste peintre dont la vie a été marquée par des choix difficiles et des circonstances malheureuses, l’amitié pour Nassim qui s’est révélée dévastatrice et désastreuse : « Il aurait dû s’opposer à Nassim. De l’autre on croit tout savoir jusqu’au jour où les masques tombent. Comme les avions dans le ciel. » Cet avion qui a emporté les parents d’Hannah….
La créativité de Juan, être complexe naguère étouffé un père répugnant, est désormais entravée par les barreaux de sa cellule, mais, malgré les contraintes de son environnement, il parvient à s’exprimer à travers l’art d’aimer. Leur amour est une symphonie inachevée, une toile incomplète, un poème dont les vers sont constamment réécrits par les aléas de la vie et les caprices du destin. Dans ce récit intense et complexe, chaque personnage est confronté à ses propres démons et à la dure réalité de la vie, illustrant ainsi la complexité de la condition humaine.
Ce roman est donc un voyage émotionnel qui transcende les barrières physiques et les contraintes de la vie. Malgré la distance qui les sépare, malgré les doutes, malgré les peurs, leur idylle reste forte et inébranlable : « Les blessures cicatrisent. les peurs, elles, laissent une empreinte indélébile. » Ils puisent toutefois du réconfort l’un dans l’autre, et leur amour qui paraît pourtant si fragile, devient une source d’inspiration et de force. Leur relation est une danse délicate entre le désir et la réalité, entre l’espoir et le désespoir.

L'art et la musique comme reflets de l'âme

La musique et l’art sont donc des éléments centraux de l’histoire. Pour Hannah, la musique est une extension de son âme, un moyen d’exprimer ses sentiments les plus profonds. Remplir le vide. Pour Juan, l’art est une forme d’évasion, un moyen de s’exprimer malgré les contraintes de sa situation. Leur amour est une symphonie inachevée, une toile incomplète, un poème en constante évolution. Chaque note jouée par Hannah, chaque coup de pinceau de Juan, est une expression, et une manifestation de leur lien indissoluble. « A Hannah, pour l’éternité » a écrit Juan derrière une toile qui lui est réservée…  Mais jusqu’où peut aller cette éternité : « Mon amour, je ne t’ai pas assez dit à quel point je t’aime« , écrit-elle.
Le livre explore également les thèmes de la liberté, de la résilience et de l’espoir. Malgré les difficultés qu’ils rencontrent, Hannah et Juan demeurent résilients, trouvant de l’espoir même dans les moments les plus sombres. Leur histoire est un rappel poignant que la plus folle des passions peut survivre même dans les circonstances les plus difficiles, et que la beauté peut être trouvée même dans les endroits les plus sombres. Mais le peintre n’est-il pas le pire des menteurs ? Et cet amour peut-il perdurer, et même se prolonger au-delà du grand silence ? 
La plume de Maëlle Guillaud est d’une précision chirurgicale. Elle dissèque les émotions de ses personnages avec une acuité qui n’est pas sans rappeler celle des grands maîtres de la littérature psychologique. Chaque mot, chaque phrase, est un coup de scalpel qui révèle une nouvelle couche de vérité, une nouvelle facette de l’âme humaine. L’auteure n’hésite pas à plonger dans les abysses de l’âme humaine, à explorer les recoins les plus sombres de l’amour et de la trahison. « Derrière le mensonge, il y a encore le mensonge », écrit-elle avec raison. 

De Platon à Camus, ténèbre et absurdité de l'existence

La référence à Tanger la blanche, cette ville lumière de leurs enfances respectives, cernée par les ombres inquiétantes, n’est pas sans rappeler le mythe de la caverne de Platon: « Tanger est une ville faite de mirages. On y vient traquer des souvenirs qui n’ont pas eu lieu« , écrit-elle. Hannah et Juan, comme les prisonniers de la caverne, sont enfermés dans un monde d’ombres et de demi-vérités. Ils aspirent à la lumière, à la vérité, mais ils sont retenus par les chaînes de leur passé et de leur présent.
Maëlle Guillaud explore donc les nuances de cet amour contrarié qui s’exprime dans le parloir d’une prison. Elle dépeint les sentiments contradictoires qui habitent Hannah et Juan : l’amour inconditionnel, la douleur de la séparation, la colère face à l’injustice de leur situation, malgré tout l’espoir d’un avenir meilleur, le désir de liberté, la culpabilité et la honte. Chaque émotion est un fil qui tisse la complexe tapisserie de leur relation : « Tu ne t’es jamais dit que le vrai bonheur, c’est celui qui nous déloge de nous-mêmes ? »
Mais la romancière va beaucoup plus loin : elle sonde les profondeurs de l’âme humaine, explore les méandres d’une souffrance qui deviendra, hélas, absolue, dévoile les paradoxes de la liberté et de l’enfermement qui ira jusqu’au tragique. Elle le fait avec une empathie et une sensibilité qui touchent au cœur.
Le roman de Maëlle Guillaud est une ode à l’amour, mais aussi un cri de révolte contre l’enfermement : « Sa terreur, c’est de crever en prison comme un chien. Il n’est pas sûr de supporter sa peine. Cinq ans ! C’est quelques mois dans une vie, lui a dit Hannah. Il faut être dehors pour prononcer une chose pareille, pour ignorer qu’ici les jours comptent triple. » 
Cet ouvrage est un appel à la liberté, à l’émancipation de l’esprit et du cœur. Il est un hymne à la vie, dans toute sa complexité, sa beauté et sa douleur. C’est une œuvre qui nous interpelle, qui nous émeut, qui nous fait réfléchir sur nous-mêmes et sur le monde qui nous entoure. Il évoque la philosophie d’Albert Camus, où malgré l’absurdité de la vie, l’homme doit continuer à lutter, à aimer, à vivre. Comme dans le mythe de Sisyphe, Hannah et Juan continuent à pousser leur rocher, à lutter pour leur amour, malgré les obstacles et les épreuves.

Et mes jours seront comme tes nuits, dont le dénouement nous transperce le coeur, est une œuvre d’une rare intensité, qui nous invite à réfléchir sur la nature de l’amour, de la fidélité, et de la liberté. Comme le disait si bien Marcel Proust : « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature« . Et ce roman de Maëlle Guillaud est, sans aucun doute, l’expression parfaite d’une vie réellement vécue.

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Auteur de nombreux essai courronés par plusieurs prix littéraires, Jean-Jacques Bedu est le fondateur de "Mare Nostrum - Une Méditerranée autrement" et Président du Prix Mare Nostrum.

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