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Fabio Bacà, Nova, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Gallimard, 04/04/2024, 1 vol. (310 p.), 24€

Avec ce roman Nova de Fabio Bacà, cinquante-deux ans, italien, nous ne sommes pas dans un espace religieux, ni politique, encore moins idéologique où les protagonistes monnaieraient le camp du Bien à coups d’arguments, d’actions, de dialogues, de raison et de passion mêlées. Non, on est dans un espace clinique, circulant dans des chambres fonctionnelles, connectées, ramifiées. Le langage de la neurochirurgie y semble être un langage, pour le commun des mortels, hors sol. On y parle de raptus, d’apophénie, de coprolalie, de SLA (Sclérose Latérale en Plaques). De précision pythagorique. Nous voilà de plain-pied avec Davide Ricci, neurochirurgien exerçant à l’hôpital Campo di Marte de Lucques, qui se tire la bourre avec son confrère Martinelli, son mentor plus précisément. Ainsi de ce langage médical qui liste sur les tabloïds de l’improbable nouvelles pathologies, toutes plus effarantes les unes que les autres, surtout celles liées aux traumas, aux bizarreries du cerveau. Il n’empêche. Malgré nos sas sécuritaires, nos portails automatiques, nos merveilleuses compétences et nos formidables connaissances ; soudain la violence brute, immarcescible, surgit, trouant de part en part cette toile si lisse, celle que – malgré les raffinements nombreux et multiples de notre belle société, l’outillage dont nous disposons, que ce soit en termes d’organisation des grands rounds musicaux, des systèmes de communication, de nos voitures insonorisées, performantes, cocoon et relax – quelque chose dysfonctionne. Quoi, quand, comment, pourquoi ? Davide qui passe par la case introspective – suis-je un bon père, suis-je un pleutre – pense à la mort dès son réveil. “Il n’est pas fou. Il n’est pas gravement malade. Il n’est pas non plus déprimé. Un rituel, un antidote”.

Autre chose. Davide abhorre la violence, Barbara sa femme est végane et choisit à dessein ses restaurants, Tommaso leur fils découvre la culture des Aborigènes. Au plus près de cette famille aisée, père chirurgien, mère orthophoniste, fils curieux et sérieux, chacun sur ses rails ; nous filons, à l’insu de tant d’autres familles similaires à celle-ci à la pointe du progrès et du bien vivre, une formidable épopée ou bien – une Tragédie inouïe ? Un jour, l’enfant Giovanni, fils de Lenci le voisin, cherche son boomerang dans la haie de la maison des Ricci, Barbara fait sa connaissance. Un autre jour, Barbara se fait agresser par un gars éméché dans le restaurant où elle a donné rendez-vous à son mari. Diégo lui sauvera la mise et par la suite se rapprochera de son mari. Diégo, tout comme Giovanni, déboulent dans le récit et interrompent le cours des choses. Pas de liens entre eux sauf qu’ils ont pour rôle de donner des coups de butoir dans une vie bien cadencée. Un peu comme dans Théorème, ce film de Pier Paolo Pasolini présenté à la Mostra de Venise en 1968. Une famille bourgeoise, et un jour un étranger joué par Terence Stamp, débarque, s’installe et déstabilise chaque membre de ladite famille. Alors question. A l’instar de l’étranger du film de Pasolini, quel rôle jouent ces personnages au sein de Nova dès lors que leur réalité romanesque n’est qu’agitation sismique, violence ancienne, sidérante, follement active dans les angles morts de notre organisation, et “folle capitalisation d’hystérie” précise le narrateur. Ne viennent-ils pas questionner le lecteur du XXIe siècle ? Questionner, divertir, via de véritables travellings in situ, épousant au mieux le présent, un présent surprenant, fantastique, étonnant, “où la loi vise à limiter les dommages que la diffusion de certaines informations pourrait causer à autrui, surtout lorsque autrui peut être un violeur en série ou un truc de ce genre.”

Pas mal, pas mal ! Fabio Bacà, dans ce roman à fleur du réel, traque les failles infernales de notre modernité, son ratage, son malheur. Ce qui nous échappe. Ses limites donc, via ses rouages, ses fondations, ses découvertes et ses usages sur lesquels nous surfons depuis tant d’années ! Arrachant de l’inconnu chaque jour donné, tous domaines confondus : musiques, performances, découvertes, dans le domaine médical d’autant plus, creuset de son roman. Et toutes ces pathologies qu’on nomme au fur et à mesure qu’on les circonscrit, comme “la gérascophobie », vous connaissez ? (…) Les médecins de la communauté m’avaient assuré que son trouble était devenu gérable. Pour utiliser les mots même du psychologue.”

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Chroniqueuse : Myriam Mas

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