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Martin Mirabel découvre Germain Nouveau en 2011 au sein d’un volume de la collection “Poésie” chez Gallimard. À la lecture de la chronologie à la fin du volume, il se dit : “il est pour moi !” Il aura fallu attendre dix ans pour que ce jeune auteur et artiste talentueux nous restitue une courte – mais si intense – biographie de ce personnage tellement bohème, maudit et inclassable – que son compagnon Verlaine n’a même pas jugé nécessaire de lui faire l’honneur d’un chapitre dans son ouvrage sur les “Poètes maudits” (1884 et 1888).
Il n’y a pas plus méditerranéen que Germain Nouveau. Né à Pourrières (Var) le 31 juillet 1851, il va passer son enfance à Aix-en-Provence, Marseille et – lors de ses longues et mystérieuses errances – arpenter plusieurs fois le Maghreb et la Terre sainte. Cet être insaisissable est peut-être né trop tôt, ou même peut-être trop tard. S’il avait été de la génération des Sainte-Beuve, Théophile Gautier, Théophile Dondey, Auguste Maquet, il aurait eu vingt ans en 1830 en portant les cheveux tombants et la redingote à brandebourgs. Affublé de costumes excentriques, il aurait été romantique et aurait applaudi à la première de la “Bataille d’Hernani”. Membre du “Petit cénacle”, il aurait eu pour compagnons de bohème Gérard de Nerval avec lequel il serait allé jusqu’au Liban, ou Pétrus Borel – comme lui un génie manqué et dédaigné en son temps –, mais qui connaîtra une gloire éphémère grâce aux surréalistes qui exhumeront une partie de son œuvre. S’il avait eu vingt ans à la fin des 1890, il aurait appartenu à la fin de la génération des “symbolistes”, cette bohème fin de siècle qui fréquentait le “Café Vachette”, au coin de la rue des Écoles et du boulevard Saint Michel. Il aurait été un de ces jeunes rhapsodes chevelus sur lesquels Jean Moréas – le gentilhomme du Péloponnèse – daignait parfois abaisser son monocle. Il aurait été familier avec Maurice Magre, Jean de Tinan, Henri de Régnier, André Gide, Pierre Louÿs, Paul Claudel, Paul Fort, Guillaume Apollinaire, et c’est sûrement la compagnie d’Oscar Wilde qu’il aurait recherché dans le tumulte de la “Taverne du Panthéon”, au sein de laquelle Alfred Jarry était redouté pour ses facéties et ses névroses alcooliques.
Mais quand on a vingt ans au lendemain de la Commune, et que l’on vient de sa province dans l’espoir de devenir un grand poète, comme tous les papillons du Paris lettré, on vient voltiger dans le salon de Nina de Villars. On fréquente alors le cercle du Parnasse. On a foi en la République, et l’on vit les premières heures du Symbolisme et de l’Impressionnisme. Les cafés s’illuminent, les orchestres fleurissent. L’absinthe, que la conquête de l’Algérie a rendu populaire engourdit la nation. Les dames font l’assaut des magasins de toilettes, le commerce devient prospère. On s’amuse. Paris se transforme à vue d’œil sous la baguette du Baron Haussmann. Mais la misère subsiste, et les bohèmes continuent à chanter comme des cigales insoucieuses de l’avenir, surtout quand on dilapide si rapidement l’héritage familial. Qu’il est difficile de se faire un nom, et surtout de passer à la postérité, quand vos compagnons s’appellent alors Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, Villiers de L’Isle-Adam, Maurice Rollinat ou Charles Cros… C’est la dure réalité de Germain Nouveau, admiré par ses amis, mais méprisé par les éditeurs et le public, que Martin Mirabel nous relate à merveille. Douze courts chapitres, mais d’une égale qualité, tentant de suivre l’existence chaotique de ce grand poète aux dix-neuf pseudonymes, qui s’évertuera à effacer toute trace, à vivre en marge d’une société qu’il honnit, et surtout à détruire les manuscrits confiés à certains de ses amis, comme Chaïm Soutine avec ses toiles.
Il est impossible de retracer, comme avec la précision d’un Jean-Jacques Lefrère pour la biographie d’Arthur Rimbaud, l’itinéraire de Germain Nouveau. Trop de zones d’ombre ; manque évident de sources. Un fait est certain : il est loin d’être un poète mineur, ce qu’a souligné Louis Aragon, et cette existence – qui l’a conduit jusqu’à recevoir l’aumône de Paul Cézanne sous le porche de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence – est peuplée d’aventures et d’énigmes. A-t-il influencé Rimbaud dont il est de deux ans l’aîné, et avec qui il va vivre à Londres ? Serait-il l’auteur de certaines pièces des “Illuminations” comme certains le laissent entendre ? Verlaine, qui lui fit découvrir Saint Benoît Labre, le plus grand des mendiants, lui a-t-il insufflé ce souffle de mysticisme qui sera à l’origine de ses crises, et qui vont le conduire vers un voyage en orient très nervalien ? Toutes ces questions, Martin Mirabel y répond en laissant planer suffisamment de doutes pour en faire un personnage de roman. Sa faculté de conteur comble les inévitables lacunes laissées par Germain Nouveau. Si le livre est si réussi, c’est parce que Martin Mirabel nous dit : “Dès lors, je savais qu’un jour j’écrirai un livre à son sujet. Un livre où je parle à travers lui, en suivant la vie à travers l’œuvre et l’œuvre à travers la vie.” Dans les années 1930, le poète toulonnais Léon Vérane, au sein d’une collection consacrée à la “vie de bohème” chez Grasset et dirigée par Francis Carco, avait écrit un texte magnifique sur Germain Nouveau. Martin Mirabel en est le digne successeur.
Tristan Corbière (1845-1875), poète ignoré des poètes, est l’auteur d’un seul recueil très prisé par les bibliophiles : “Les amours jaunes”. Mort dans les bras de sa mère avec le sentiment d’avoir gâché une existence qu’il a détestée, Rémy de Gourmont lui a rendu cet hommage : “L’un de ces talents inclassables et indéniables qui sont dans l’histoire des littératures, d’étranges et précieuses exceptions.” Germain Nouveau, “Humilis, le poète errant”, en est une autre. Sa mort, un peu comme celle d’Alfred Jarry, est à l’image de son existence. Il a été tué par l’oubli, la solitude, et la vie quotidienne. C’était un génie, mais un génie en perpétuel équilibre sur un précipice. Rendons grâce à Martin Mirabel de nous l’avoir fait revivre avec tant de talent.

Mirabel, Martin, “Germain Nouveau : un cœur illuminé”, M. de Maule – le Quai, “Littérature française”, 29/04/2021, 1 vol. (143 p.), 18€

Jean-Jacques BEDU
articles@marenostrum.pm

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