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Gilles Zerlini, Guyane, Maurice Nadeau,19/04/ 2024, 155 pages, 19,00 €.

Guyane, de Gilles Zerlini, nous plonge dans l’univers impitoyable du bagne, reflet d’une société corse gangrenée par la violence et le poids des traditions ancestrales. Le récit, d’une densité remarquable, s’articule autour du destin tragique d’Antoine-Michel Ferracci, paysan arraché à sa terre et condamné à l’exil pour le meurtre de son neveu.

L’introduction nous transporte dans la Corse rurale de la fin du XIXe siècle, où la terre se dispute à coups de stylet (un couteau) ; le code de l’honneur justifie les vengeances et la vendetta sème la mort. Antoine-Michel, hanté par la jalousie et le désir de préserver l’ordre ancestral face à l’avidité de son neveu, commet un crime qui le précipite dans l’abîme. « Dix coups de couteau et deux coups de fusil, un dans la tête et l’autre dans la poitrine. Ça me confère une certaine réputation. » La violence du geste est racontée avec une crudité qui marque le lecteur. Le procès, mené en français, langue étrangère pour Antoine-Michel, souligne l’injustice d’un système qui le condamne à l’exil sans comprendre les motivations profondes de son acte.
Le long voyage vers la Guyane, dans les entrailles fétides d’un navire-prison, marque le début d’un calvaire. « Vingt jours de mer, si tu savais comme j’ai envie de rajouter un s à chacun de ces mots, vingt(s) jours de mers.  » L’auteur use d’une langue poétique et crue pour dépeindre la souffrance physique et morale des forçats, privés de liberté et de dignité. La Guyane, « terre de malheur« , s’impose comme un lieu d’enfermement et de désespoir, où la nature hostile et les maladies tropicales achèvent de briser les corps et les âmes.

Au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, Antoine-Michel côtoie une galerie de personnages hauts en couleur, autant de destins brisés, chacun marqué par son propre drame. L’auteur s’attarde sur quelques-unes de ces vies, offrant des récits enchâssés qui enrichissent la trame principale. François, l’officier de cavalerie qui a tué sa femme, hanté par un secret inavouable et la frustration d’une virilité brisée. Paul, le notaire qui a fait manger le cœur de l’amant à son épouse, montrant la froideur calculatrice d’une bourgeoisie capable des pires atrocités. Stéphane, le scalpeur d’Indiens, jeune bourgeois fasciné par la violence primitive et entraîné dans une spirale de meurtres gratuits. Autant de miroirs reflétant la complexité de la condition humaine, où l’amour, la haine, la jalousie et la soif de pouvoir s’entremêlent dans un ballet macabre.
Au milieu de cet enfer, Antoine-Michel trouve un fragile réconfort dans l’amour de Marie, une ancienne communarde. Leur rencontre, tardive et inattendue, offre une parenthèse de douceur et de tendresse dans l’univers carcéral. « J’ai ce sentiment, pour la première fois de ma longue vie, ce sentiment de saisir la possibilité de pouvoir continuer à vivre avec elle jusqu’à mon dernier jour. » Leur amour, débarrassé des illusions de la jeunesse, est un refuge face à la solitude et au désespoir. Ensemble, ils nourrissent l’espoir impossible d’un retour, rêvant d’une évasion qui les arracherait à cette terre maudite.

Le récit culmine avec l’arrivée d’un hydravion, symbole d’une modernité qui s’impose même dans ce lieu reculé. Pour Antoine-Michel et Marie, c’est une chance inattendue de s’évader, un rêve fou qui les pousse à élaborer un plan audacieux. « Vite la barque, on glisse, on monte dans l’avion. On détache la machine volante. » La tension monte à mesure que le plan se déroule, le lecteur retenant son souffle jusqu’au dénouement.
La force du récit réside dans la puissance du style de Gilles Zerlini. Sa langue, poétique et incisive, s’adapte aux différents registres de l’histoire, passant de la crudité des scènes de violence à la tendresse des moments d’amour, de la réflexion philosophique aux descriptions précises du paysage corse et de l’enfer du bagne. L’auteur use de nombreux apartés, s’adressant directement au lecteur, le prenant à témoin des horreurs du bagne et de la complexité des relations humaines. Ces apartés, souvent teintés d’ironie et d’humour noir, confèrent au récit une dimension philosophique et universelle.

Guyane est plus qu’un récit d’aventure et d’évasion. C’est une réflexion profonde sur la condition humaine, où les thèmes de la fatalité, de la culpabilité, de la quête de rédemption, de l’amour et de la liberté s’entremêlent. L’auteur nous interroge sur le poids du passé, les traditions ancestrales et la violence qui gangrène la société corse. Le récit, bien qu’ancré dans un contexte historique précis, résonne avec une force inattendue dans la Corse contemporaine, où la violence et la corruption continuent de marquer les esprits.

Image de Chroniqueur : Raphaël Graaf

Chroniqueur : Raphaël Graaf

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