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Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, on constate que les mémoires ne sont pas réconciliées. Les plaies ne sont pas toutes cicatrisées. Nombre de ceux qui ont vécu cette période – et maintenant leurs descendants – estiment que tout n’a pas encore été réglé.
De part et d’autre de la Méditerranée, chaque partie concernée a analysé les faits, mais en les filtrant, en les interprétant, aboutissant ainsi à des mémoires différentes et même totalement opposées.
On peut se demander pourquoi il en est ainsi, quelles sont les causes de ces divergences ?
Dans son ouvrage Guerre d’Algérie, le trou noir de la mémoire, le chercheur en Sciences politiques et relations internationales, Sébastien Boussois analyse ces mémoires qui – avec le temps – se diluent, sans jamais s’assimiler, comme de l’huile que l’on rajouterait dans un verre d’eau.
Il évoque la connaissance des jeunes français et recense les supports qui leur permettent de rentrer dans cette histoire. L’auteur montre comment, par leur façon de vivre, par leur contexte professionnel, par leurs références culturelles, ils peuvent accéder à une mémoire plus apaisée.
Il y eut d’abord le tabou : la guerre n’était pas reconnue. Du côté français, il a fallu attendre 1999 pour que l’on admette enfin qu’il s’agissait une véritable guerre, alors qu’on ne parlait jusque-là que « d’opérations de maintien de l’ordre ». Puis une nouvelle étape a été franchie avec les lois mémorielles de 2005, qui prennent en compte les épreuves endurées par les colons lorsqu’ils furent obligés de quitter leur terre natale et leurs biens. Ces lois, loin de réconcilier les mémoires, renfermaient en elles un risque de repli communautaire. Tous ceux qui avaient subi la colonisation les contestaient.
Il est particulièrement difficile pour les pieds noirs et les harkis d’accepter la date du 19 mars pour commémorer la fin de la guerre, en raison de la persistance des combats et des très nombreuses pertes humaines après cette date.
La communauté algérienne vivant en France a subi les conséquences de l’absence de réconciliation véritable. Entre octobre et décembre 1983, la « Marche pour l’égalité et contre le racisme », fut une tentative pour revendiquer le besoin d’intégration des jeunes issus de l’immigration, dévoyée – selon l’auteur – par les socialistes au pouvoir, via l’implication de l’association SOS racisme.

On ne peut que constater l’existence de mémoires contrariées et différentes entre les pieds noirs, les harkis et les appelés du contingent.
L’un des obstacles pour faire évoluer le problème est le manque de connaissance sur la question, parce que l’enseignement de la guerre d’Algérie est sommaire, voire binaire pour chaque bord. Aussi bien en France qu’en Algérie, on n’explique pas, ou très mal, ce qui s’est passé. On ne contextualise pas les évènements. Les premiers historiens étaient influencés par le contexte et par leurs origines. Mourad, jeune étudiant franco-algérien :

Les jeunes ne connaissent pas les évènements principaux de la guerre d’Algérie, car ils sont ce que l’État français a voulu faire d’eux : des personnes vides de toute mémoire contestataire. Tabous et censure ont joué un rôle maximum et même si les manuels scolaires évoluent, on voit bien que les seuls moments où ils peuvent découvrir un évènement, sur la torture, sur Sétif, sur le 17 octobre 1961, sur les massacres d’Européens à Oran, sur la Toussaint Rouge, cela provoque toujours un drame national et des polémiques sans fin.

Il faut attendre l’arrivée d’historiens « neutres », capables de prendre du recul, pour analyser les faits, les remettre dans leur contexte sans jugement et sans interprétation partisane. L’auteur analyse le traitement de la guerre d’Algérie dans les programmes de l’éducation nationale et les manuels scolaires. Les enseignants ont le choix entre traiter la Seconde Guerre mondiale ou la guerre d’Algérie. La plupart choisissent la première proposition. On constate la même pauvreté du sujet dans la littérature pour la jeunesse, jusqu’en 2010 très peu de grands éditeurs nationaux s’intéressent à la question.
Depuis 1960, le cinéma nous a offert de nombreux films : « La bataille d’Alger », « Les centurions », « Avoir 20 ans dans les Aurès ». Mais ils eurent, lors de lors sortie, qu’un succès d’estime.
Actuellement les supports sont nombreux et accessibles, mais l’intérêt des jeunes générations pour ce conflit reste limité. Comment transmettre la mémoire hors du cadre institutionnel ? Quels sont les enjeux de la transmission mémorielle pour la France et les jeunes générations face à la question algérienne ? Le rôle du sport dans les rapports entre les communautés est évoqué dans l’ouvrage, en particulier celui du football.
Dans la postface, l’historienne Karima Dirèche synthétise la situation. Du côté français :

La perte de l’Algérie avec la guerre atroce qui l’a accompagnée est un évènement majeur dans la mémoire collective française. (…) L’histoire de la colonisation, dans ses réalités discriminantes, inégalitaires et spoliatrices, a été reléguée au profit d’une mémoire de la souffrance des Français d’Algérie .

Du côté algérien :

L’union des forces conservatrices, telle qu’elles se déploient en Algérie, autour des questions mémorielles révèle tous les enjeux de la consolidation du régime politique qui repose sur les conflits de mémoire et les instrumentalisations des récits de l’histoire nationale.

En conclusion, un travail primordial afin de mieux appréhender pourquoi la réconciliation des mémoires reste – en grande partie – à faire, alors que l’on aurait pu espérer que soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la question ne se poserait même plus.

Image de Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est chercheur en Sciences politiques et relations internationales, spécialiste du Moyen-Orient et du monde arabe.

Boussois, Sébastien, Guerre d’Algérie : le trou noir de la mémoire, Éditions Erick Bonnier, 20/01/2022, 1 vol. 20 €.

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