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Paul Hébert, L’oeuvre de Guillermo del Toro. L’art magique du cinéma, ThirD Éditions, Coll. Cinéma et Série, 17/09/2025, 322 p., 29,90 euros (cartonné).

Guillermo del Toro est un cinéaste, acteur, scénariste, romancier et producteur, à l’univers fantastique et horrifique peuplé de monstres et de fées. Pour comprendre la folie et l’inspiration monstrueuses de del Toro – nom annonciateur d’une bestialité et d’une animalité profondes – il faut préciser qu’il est né à Guadalajara, au Mexique, et que son enfance, sous l’égide de sa grand-mère, est baignée par la culture de la Mort, les légendes maya et aztèque, le catholicisme expiatoire des églises de l’Opus Dei, l’ésotérisme, les lectures de Poe, Rimbaud, Baudelaire, Schwob, Lewis, les découvertes filmiques de la Créature du lac noir, du Fantôme de l’opéra et de la Créature de Frankenstein. S’y ajoutent, dans un Mexique à l’Histoire trouble, les fureurs de Godzilla et de El Santo, le catcheur mexicain, la passion picturale pour Goya, Manet, Van Gogh, Rops, Redon, cinéphilique pour Mario Bava, Lucio Fulci, Dario Argento, Luis Buñuel et Alfred Hitchcock. Ainsi, comment ne pas avoir l’esprit bouillonnant et tourmenté, fruit d’un melting-pot d’ingrédients de magie noire maléfique et blanche merveilleuse ? 

Un univers de vampires, de fantômes, de démons et de monstres

L’auteur aborde l’œuvre de Guillermo del Toro chronologiquement mais elle peut être vue par des thématiques révélant ses obsessions. La fréquentation, jeune, d’un hôpital psychiatrique et d’une morgue, la rencontre d’embaumeurs et la vision de cadavres, expliquent son goût pour le sang et sa passion pour les vampires à la sauce mexicaine. Dans Cronos (1993), un vieil homme est mordu non par un vampire mais par une horloge en forme de scarabée égyptien qui le pique jusqu’au sang en injectant un venin qui le rajeunit mais le transforme en vampire. Blade 2 (2002), resucée gore de l’opus de Stephen Norrington (1998), magnifie Wesley Snipes en super-héros afro-américain issu des comics Marvel, mi-homme, mi-vampire. Dans une ambiance gothico-horrifique mixant comics, jeux vidéo et arts martiaux, il chasse les Faucheurs, des vampires mutants terrifiants aux mandibules carnassières qui s’attaquent aux humains et vampires. The Strain (2014), inspiré de sa trilogie La lignée, renouvelle la forme et la peur du vampire avec des vers parasitaires qui s’infiltrent dans les corps et transforment les hommes en vampires. Ce qui devait être un film sera une série de 46 épisodes de 42 mn dont il réalise l’épisode pilote. Del Toro s’intéresse aussi aux démons avec Hellboy, créé par Mike Mignola, donnant corps et âme au Garçon de l’Enfer, un Diable rouge aux cornes coupées, donc bon enfant, qui combat le Mal dans Hellboy (2004) et Hellboy II, les Légions d’or maudites (2008), deux films d’action, de sorcellerie et d’horreur, d’humour et d’amour. La guerre civile espagnole et le mythe de l’enfant innocent et traumatisé par les adultes traversent L’échine du Diable (2001), une histoire de fantômes co-produite par Pedro Almodovar, et Le labyrinthe de Pan (2006) où la petite et alicienne Ofelia, jonglant entre deux mondes, doit affronter ses démons intérieurs : humains (Vidal, son beau-père franquiste et tyrannique), inhumains (L’homme blême, un cyclope monstrueux), féériques (Le Faune).

Un Art magique fusionnant poésie et sorcellerie

L’imagination et l’inventivité de Guillermo del Toro sont sans pareille et il alterne les genres les plus surprenants et extrêmes : la SF et les E.T. dans Mimic (1997), avec des insectes de taille humaine tueurs, mutants et mimétiques, et Pacific Rim (2013), avec des monstres et des robots géants, le fantastique dans Crimson Peak (2015), avec son manoir hanté, La forme de l’eau (2017), où une jeune femme muette tombe amoureuse d’un être amphibien prisonnier dans un aquarium, Nightmare Alley (2021) avec des monstres simplement humains qui jouent aux médiums escrocs, Pinocchio (2022), dessin animé d’un enfant dans une Italie fasciste à l’image du Labyrinthe de Pan. L’horreur gothique revient en 2025 avec Frankenstein, le docteur et la Créature, film produit par Netflix. Par son imaginaire atypique et sa filmographie surprenante et terrifiante, Guillermo del Toro est un magicien (ou sorcier) du contemporain à la patte (ou griffe) unique qui met en scène des histoires initiatiques, intemporelles et universelles, sociales et politiques, où monstres humains et entités effrayantes se côtoient et cachent nos imperfections et identités. Les monstres, quels que soient leurs visages et formes, séduisants ou cauchemardesques, c’est nous. Cinéaste mexicain sorti de l’ombre, Guillermo del Toro, le maître de l’horreur et des monstres, est devenu un réalisateur de renommée mondiale. Il a reçu les prix les plus prestigieux : Goya 2007 du meilleur scénario pour Le labyrinthe de Pan, Lion d’or Mostra de Venise 2017 pour La Forme de l’eau, Oscar 2018 du meilleur réalisateur et du meilleur film pour La Forme de l’eau, Oscar 2013 du meilleur film d’animation pour Pinocchio. L’homme n’a pas fini de nous enchanter et horrifier.

Il faut lire ce livre, de plus de trois cents pages denses et fouillées, pour parachever la vision de chaque film et en découvrir tous les aspects littéraires, bédéphiles, cinématographiques, occultes et multiculturels. Paul Hébert est un passionné qui dissèque minutieusement chaque métrage. Ainsi Le labyrinthe de Pan est divisé en Croisée des chemins, Labyrinthe, Conte, Figé, Psychomagie, féminin, Paganisme, Saules, Peuple blanc, Dieu cornu, Élévation, Ambivalence, Juxtaposition, Désobéissance. L’auteur n’oublie pas les projets filmiques avortés, comblant toutes nos attentes. Pour conclure, Guillermo del Toro, cinéaste des peurs et émotions présentant Frankenstein au 17e Festival Lumière à Lyon en octobre 2025, dénonce l’IA, le nouveau monstre fasciste qui envahit le cinéma : “Dans ce film, tous les décors sont réels, le décor est à taille humaine, il y a des miniatures minutieusement créées… C’est un opéra, fait par des humains pour des humains. C’est un film qui est là pour nous rappeler que l’art n’est pas seulement nécessaire, il est urgent. Et l’IA peut aller se faire foutre !”

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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