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La pilule a constitué un tournant radical dans la vie des femmes, plus que l’IVG ou le droit de vote, qui marque l’accès à la contraception moderne, et relève de leur choix à contrôler leur corps. La France se caractérise par une politique sanitaire centrée sur la pilule, privilégiant la notion de réversibilité, qui modifie le fonctionnement de l’organisme. Son apparition a, en bouleversant leur intimité, modifié les comportements des couples. Paradoxalement, elle a suscité peu d’études, une lacune que l’ouvrage de Myriam Chopin et Olivier Faron s’efforce de pallier. Le livre, qui aborde un sujet transversal, s’appuie sur les archives du Planning Familial, les enquêtes démographiques et toute une masse d’ouvrages, d’articles, démissions de télévisées et de ressources numériques.

De l’Antiquité à nos jours la longue histoire de la contraception

Égypte et Grèce antique. On dénombre un certain nombre de contraceptifs utilisés dans l’Égypte ancienne, et les historiens grecs comme Polybe constataient que le nombre d’enfants était limité pour des questions d’héritage. Les médecins comme Hippocrate craignaient la stérilité féminine. Souvent, avortement et contraception étaient confondus. Soranos, un médecin exerçant à Rome au II è siècle après JC, plaidait en faveur de la contraception à partir de médicaments à base de plantes. Sa vulgate gynécologique a perduré pendant plusieurs siècles.
La répression ecclésiale. Le christianisme, en mettant l’accent sur la notion de péché de chair, a assimilé les pratiques contraceptives et abortives à des actes de sorcellerie. Une éthique de la continence a été recommandée, les femmes, taxées d’infériorité et d’immoralité, en raison du péché originel, ont été réduites au silence. Toutes les pratiques sexuelles ne menant pas à la procréation ont été exclues. Pourtant, l’ouvrage d’Avicenne, Canon de la médecine, repris par Arnaud de Villeneuve, a connu un grand succès en Occident. Des méthodes de contrôle des naissances ont circulé dans les milieux médicaux. En l’absence de sources dans ce domaine, les historiens actuels ont interrogé des pratiques sexuelles différentes, adultère, prostitution, viol, pour comprendre les pratiques de contraception.
L’époque moderne. L’opposition du contrôle des naissances s’est durcie au XVI è siècle. L’épidémie de syphilis a permis de promouvoir l’usage du condom. À la même époque, les médecins recommandaient d’éviter les grossesses pour préserver la santé des femmes. Les méthodes contraceptives, étaient mentionnées par quelques écrivains. Plus rares, les témoignages féminins intervenaient dans la sphère privée (lettres de Mme de Sévigné à sa fille). Les théologiens culpabilisaient les femmes et leur recommandaient l’abstinence. Les philosophes les enfermaient dans leur fonction fécondante, tandis que la littérature commençait à glorifier la figure maternelle dans un monde où la sexualité hétéro conjugale constituait la norme. Pourtant, dès 1850, la France est devenue un pays pilote pour la limitation des naissances, d’abord théorisée par Condorcet, puis par Malthus en Angleterre, les jeunes couples refusant l’intrusion de l’Église dans leur intimité.
Vers la légitimation de la contraception. Dès 1908 en France des néo-malthusiens publiaient des périodiques encourageant le préservatif, mais aussi la vasectomie et la stérilisation à visée eugéniste. On recommandait pour les femmes l’usage de poudres anticonceptionnelles et d’injections spermicides, puis du diaphragme. Le militantisme français a inspiré des pionnières américaines, Emma Goldman, Margaret Sanger, et en France, la socialiste et féministe Madeleine Pelletier.
De la loi de 1920 au régime de Vichy. Mais la loi de 1920, (abrogée en 1975) destinée à repeupler la France après la guerre, condamna toute diffusion d’information sur ce sujet, ainsi que toute pratique contraceptive et abortive. La maternité devint un enjeu politique majeur. Les dispositifs féminins tombaient sous le coup de la loi, mais les préservatifs restaient autorisés pour endiguer les MST. Une répression massive s’abattit sur les partisans de la limitation des naissances, avant de culminer sous le régime de Vichy. Le PC réclama la contraception jusqu’en 36, mais le Front populaire n’abolit pas les textes de 1920 et 23. Le Code de la Famille du 29 juillet 1939, repris et complété sous Vichy, renforça la répression. L’avortement devint un crime passible de la peine de mort
Avancées de l’après-guerre. Au cours des années 1950, l’action de Margaret Sanger aux USA aboutit à la création d’un centre de recherches sur la contraception, le PPFA, un modèle adapté en France en 1968, avec la création du Planning familial. Les livres de M. A. Lagoua Weill Halle, créatrice de la Maternité Heureuse et le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir exercèrent une influence considérable sur l’opinion, tandis que Libération et France Observateur relayaient ce combat pour l’émancipation des femmes. Des médecins se formèrent aux méthodes de contraception et le Planning Familial essaima dans la France entière, alors que la première pilule arrivait des États Unis.

Et la pilule fut...

La légalisation : de l’autorisation à la loi Neuwirth. La décennie 1956-1967 s’avéra déterminante. C’est Grégory Pincus, l’inventeur de la pilule, qui joua un rôle déterminant. Commercialisée en 1956 sous le nom d’Enovid, elle fut autorisée seulement pour les femmes mariées jusqu’en 1972. En 1963, elle apparut en France sous le nom d’Enidrel, et fut vendue sur ordonnance sans aucune mention de sa visée contraceptive, mais son utilisation bénéficia d’une forme de tolérance, d’autant que la France présentait dix ans de retard sur les autres pays. Elle suscita deux camps opposés, ses défenseurs, autour de M. A Lagroua Weil, ses contradicteurs, autour du professeur Chauchard, fondateur en 1971 de l’association Laissez-les vivre. De grands noms de la médecine ou de la politique, comme Lucien Neuwirth, menèrent la bataille de l’opinion publique. Les communistes finirent par s’y rallier au milieu des années soixante. Le choix de François Mitterrand en faveur de la pilule constitua un tournant dans sa campagne. Finalement, elle fut adoptée par le gouvernement, pour limiter les naissances dans les départements d’Outre-mer. Votée à l’unanimité le 14 décembre 1967, la loi Neuwirth, un texte bref de 9 articles, entérina l’abolition de la loi de 1920.
Et ses conséquences. Elle marquait une rupture dans une France clivée, et très conservatrice. Toutefois, son application se heurta à l’opposition du ministre de la santé et de sa secrétaire d’État. L’encyclique de Paul VI Humanae vitae, bien qu’incomprise d’un certain nombre de fidèles, constitua aussi un frein à la contraception. Mai 1968, qui revendiquait surtout la liberté sexuelle, permit aux femmes de se regrouper pour fonder des mouvements ultérieurs, le MLF en 1970, Choisir la Cause des Femmes, et enfin en 1973 le MLAC. Cette même année, les premières autorisations contraceptives furent délivrées par des spécialistes. En décembre 1974, la première loi Veil constitua une seconde étape. Votée à une voix moins une, elle fit de la contraception un droit individuel, en lui apportant une reconnaissance institutionnelle et légale définitive, tandis que s’estompaient les résistances à la délivrance de la pilule, enfin entrée dans la vie des femmes françaises.
Du tout pilule à la mise en question. Après son adoption tardive par la France la pilule y est devenue le moyen de contraception dominant, contrairement à d’autres pays. Mais elle a aussi suscité des controverses au cours des dernières décennies, que les derniers chapitres s’attachent à explorer. Ainsi, le long parcours juridique et les luttes des femmes ont abouti à la généralisation de la pilule. Extrêmement sérieux, clair et documenté, le livre de Myriam Chopin et Olivier Faron nous éclaire sur les différentes étapes de ce parcours. Il montre comment la question de contraception a excédé la sphère de l’intime pour constituer un enjeu politique. La sexualité des femmes, objet de préoccupation des religions et de la médecine a constitué pendant des siècles le terrain où s’exerçait une forme d’oppression contre elles. Aujourd’hui, les combats menés leur ont permis de se réapproprier leur corps.

Cette Histoire de la pilule s’avère importante pour les jeunes générations qui ont bénéficié de ses acquis, en ignorant les enjeux masqués. Bien construit, agréable à lire, cet ouvrage fait le point sur un pan récent de notre histoire mais un peu oublié. Il nous permet de réfléchir à nos pratiques amoureuses, à l’évolution des mentalités et de comprendre que ce qui nous semble aujourd’hui relever de la norme s’est avéré longtemps problématique. La place de l’histoire et de la mémoire s’avèrent pour nous prégnantes, y compris en ce qui peut paraître ne concerner que la sphère de l’intime.

Chopin, Myriam & Faron, Olivier, Histoire de la pilule : libération ou enfermement ? Passés composés, 02/03/2022, 1 vol. (286 p.), 21€.

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Marion Poirson-Dechonne

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